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au-dessus de la terre. Du moment que cette lumière de l’idéal brille en haut, les fausses lumières pâlissent, le jour devient éternel. Si cette clarté revient jamais, les lumières qui nous éclairent, dont nous sommes si fiers et qui ne sont que des éclairages au gaz, seront éclipsées et ne serviront que pour les usages auxquels elles sont destinées. Elles seront simplement (elles, les produits des alambics et des machines et non de la nature) comme les lampes de sûreté d’Humphry Davy, destinées à nous prémunir contre les malices du monde matériel et les dangers qu’il peut nous susciter. Alors elles auront trouvé leur véritable place ; alors les sciences mécaniques et physiques n’auront pas cessé d’être humaines, mais elles auront cessé d’être ce qu’elles sont aujourd’hui, la seule lumière morale de l’humanité. Quand donc reviendra le jour où les hommes, aujourd’hui chrétiens seulement de nom, auront un idéal qui leur serve d’étoiles ? quand reviendra seulement le jour où ils sentiront la nécessité d’en avoir un et où le désir de Dante, alle stelle, sera devenu le désir de tous ? Puisse ce jour venir bientôt ! toi, idéal non encore visible et dont l’aurore a été annoncée par tant d’esprits profonds de nos jours, que tu sois une forme nouvelle, que tu te nommes union des communions diverses, ou simplement renouvellement de l’ancienne religion, comme a semblé le prophétiser l’ardent de Maistre, je l’appelle de tous mes vœux. Tu t’es laissé apercevoir dans ce siècle confus par éclairs, par lueurs, par subites et passagères révélations à plus d’un esprit inspiré et à demi prophétique. Tu cours comme un rayon de printemps, tu passes comme une flamme cachée, invisible, dans plus d’un écrit de ce siècle, en les échauffant et les éclairant. Quoique tu n’aies pas encore de forme distincte, que tu ne sois qu’un esprit sans corps et la voix errante d’un langage non encore parlé, tu es reconnaissable chez un Novalis, chez un Schleirmacher, dans Jean-Paul, dans Schiller et ses trois paroles de la foi, dans Coleridge, dans le doux, le profond Wordsworth, dans l’éloquent Carlyle, dans Emerson, jusque dans Goethe. Dans la bouche de ces hommes, tes paroles semblent bizarres, tes prophéties interrompues et sans suite, parce que ces paroles et ces prophéties ne sont que des échos du passé et à la fois des bégaiement de l’avenir. N’est-ce pas toi encore qui as envoyé ces demiourgos à demi inspirés, à demi démoniaques, qui ont passé à travers les écrits du noble Shelley comme un long sanglot, comme une plainte infinie au-dessus des immenses solitudes de son Alastor, en disant : La terre est vide, les mers sont vides, et vide aussi le cœur de l’homme ; tout est désert, même le ciel ; qui ont parlé par la bouche de Byron et ont créé en France des religions saint-simoniennes et des philosophies fouriéristes aux élans sensuels, forçant ainsi les puissances subalternes de la matière à reconnaître la suprématie et à la confesser par mille corruptions et mille folies. Heureux les hommes qui vivront dans l’avenir ; ils vivront d’une vie complète, et non plus déchirés par le doute et dévorés par la corruption ; leur esprit sera tourné vers l’espérance, et le désespoir, le doute, la croyance factice, toutes les plaies de notre siècle seront fermées ; mais chez quel peuple, dans quelle région ce renouvellement de la vie se fera-t-il ? au profit de quelles nations, au détriment de quelles autres ? C’est encore un mystère.

En attendant, rendons grâces à Dieu, puisque l’élan vers l’infini se rencontre dans quelques hommes, puisque notre siècle, à défaut de fortes