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précisément le parti auquel Gros se réduisit. Tout le mérite de son travail est comme perdu, quand on le voit d’en bas, à cause de la nécessité où l’on est de changer à tout moment de place pour en apercevoir successivement les différentes parties. On ne saisit que difficilement l’intention qui a présidé à l’ordonnance. Ce qui confirme dans l’opinion que l’artiste avait la conscience de cet inconvénient, c’est que cet immense tableau sphérique est exécuté comme un tableau de chevalet destiné à être vu à une distance médiocre, et sans aucun des sacrifices qui eussent pu contribuer à augmenter l’effet ou à donner l’intelligence des plans[1].

On ne peut se refuser à admirer la grandeur des intentions. Cependant on reste froid devant ces immenses figures dont le gigantesque n’est pas sauvé par quelque chose de plus pittoresque dans l’arrangement de la disposition. Il y a, si l’on peut parler ainsi, je ne sais quoi de prosaïque dans cette disposition régulière de quatre groupes, et cet inconvénient est le pire de tous dans un genre de peinture qui s’accommode des inventions hardies et qui devrait être à la peinture ordinaire ce que l’ode en poésie est à une simple narration. La beauté du pinceau est toujours surprenante et a le même mérite qu’on admire dans les autres tableaux de l’auteur ; mais ici malheureusement, la suavité des teintes et le modelé gracieux des parties se noient entièrement dans cette sécheresse et cette absence d’effet général.

Cet immense travail ne fut achevé qu’en 1824 ; il valut à Gros le titre de baron et les encouragemens les plus flatteurs de la part du roi Charles X. Nous reviendrons sur nos pas pour mentionner les ouvrages qui avaient marqué dans la carrière du peintre pendant l’exécution de la coupole ; il suspendait souvent cette occupation pour travailler aux tableaux et aux portraits qui lui étaient demandés. Parlons d’abord du plus capital de ces tableaux, et qui semble le dernier effort de la veine qui avait produit les grandes batailles, je veux dire le Départ du roi dans la nuit du 19 au 20 mars[2]. Il faut mettre immédiatement après pour le mérite, mais dans un très haut degré encore, l’Embarquement de la duchesse d’Angoulême à Pouillac le 1er avril 1815[3]. On trouve dans ce dernier des détails d’exécution pleins de vie et de chaleur. La tête de la duchesse surtout est un chef-d’œuvre de ressemblance et d’expression, mais il n’y a dans l’ensemble du tableau, dont la disposition

  1. Nous trouvons, dans la notice sur Gros de M. Delestre, un passage qui montre que le grand artiste avait très bien compris les inconvéniens attachés à son travail. «... Nous dirons combien il est regrettable qu’on n’ait pas suivi la première proposition de Gros, de placer les quatre groupes des rois dans les angles de la coupole inférieure, en réservant celle où tout est maintenant réuni pour y peindre la seule figure de sainte Geneviève, etc. » (Gros et ses Ouvrages, page 352.)
  2. Salon de 1817.
  3. Salon de 1819.