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font mieux que penser, elles agissent, elles ont l’éloquence de la pantomime, la poésie de l’action. »

Gros, sans nul doute, avait été fortement impressionné en Italie par la vue des peintures de Rubens : les qualités et les défauts de ces deux grands peintres offrent beaucoup d’analogie. Cependant, à la fin de sa vie, et quand il eut pris l’attitude d’un chef d’école, il parlait moins souvent de cet objet de ses premières admirations. Pendant que son camarade Girodet s’efforçait de chercher la couleur et ne vantait que l’éclat et la finesse des tons. Gros recommandait fortement à ses élèves d’insister avant tout sur le dessin, et il était surtout flatté des complimens qu’on lui adressait sur la correction de ses figures. Il lui était arrivé depuis, en voyant l’extrême sobriété de teintes qui caractérise la palette et les tableaux de certains adeptes, de dire qu’après tout on ne peut pas faire de la peinture à la spartiate. En 1831, lorsqu’au sortir d’une révolution, les artistes de tous les étages, préoccupés d’améliorer leur sort, s’émurent dans des réunions tumultueuses et présentèrent en foule des demandes de réforme. Gros disait d’eux : Ils veulent entrer à l’Institut au nom des droits de l’homme.

La patrie aurait dû consoler au moins les mânes de cet illustre désespéré. Elle concède libéralement un espace et un tombeau dignes de leurs services aux orateurs, aux guerriers, aux grands ministres ; quelquefois elle accorde cet honneur à des hommes de parti dont la postérité aura peine à démêler les titres. Les artistes, qui font les délices des générations, seraient-ils traités moins favorablement ? Les cendres de Racine, de La Fontaine, sont confondues obscurément et oubliées dans un cimetière. Il a fallu de nos jours, pour élever une statue au Poussin dans sa ville natale, attendre le résultat d’une souscription, qui n’est pas encore remplie. Le simple tombeau de famille dans lequel Gros n’occupe qu’une place étroite présente, au milieu de plusieurs autres inscriptions modestes, la mention de son nom et la date de sa mort ; cette inscription tient un espace plus petit que n’était sa glorieuse palette. Ses amis avaient fait placer au faîte du monument le buste du grand peintre : mais un autre tombeau, élevé précisément en face et à un pied de distance, ne permet plus de l’apercevoir. Il conviendrait à la génération qui s’élève de réparer cet oubli et de consacrer dignement cette grande mémoire.


EUGENE DELACROIX.