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pour apaiser maintenant ceux qu’il a dû blesser, de supposer devant lui ou devant la république les ennemis imaginaires que ceux-là seuls lui rêvent.

Nous gardons vis-à-vis de M. Caussidière et de M. Louis Blanc toute la réserve que leur situation nous commande. Nous ne sommes point si gênés vis-à-vis de M. Ledru-Rollin ; nous n’avons jamais dit que M. Ledru-Rollin fût un conspirateur ; nous ne lui reprochons qu’une chose, et le discours qu’il a prononcé pour sa défense n’est qu’une preuve de plus à l’appui de ce reproche. M. Ledru-Rollin ne cherche pas et n’a jamais cherché dans sa vie politique le chemin le plus droit et le plus simple : il a toujours quand même préféré celui qui le mettait le plus en évidence, en tête de colonne, fût-ce une colonne dont il embrassât au hasard le drapeau. Cet amour-propre souriant et robuste qui le caractérise ne doute de rien et brave tout pour se contenter. Comme il a malheureusement l’esprit faux et la science courte, ce n’est ni l’expérience ni le bon sens qui lui marque jamais sa place ; c’est l’indomptable envie de paraître. Possédé de cette envie dévorante, il ne calcule pas ce qu’elle peut lui coûter, cela d’ailleurs le regarde ; il ne se soucie pas davantage de ce qu’elle peut coûter à sa patrie, c’est là notre grief. Lorsque ce démon vaniteux le poussa tout d’abord, la lance en avant et la visière levée, suivant ses expressions, au premier rang de l’extrême démocratie, il ne compromit que son goût, son jugement, et, à ce qu’il paraît, sa fortune ; mais lorsque hier encore, au milieu de ce triste procès, il s’affublait des lambeaux mal ajustés du socialisme pour se constituer une originalité nouvelle et recommencer un rôle, M. Ledru-Rollin, grâce à la position qu’il tient encore, faisait sciemment de sa personne un embarras ou un danger pour le pays. Quand il déclamait avec emphase les pages irritantes de M. Louis Blanc, il les débitait non pas à l’assemblée qui les connaît trop bien, mais à la foule, devant laquelle il voulait passer désormais pour le seul politique qui fût capable de l’aimer. Il ne visait à gagner personne dans l’assemblée ; il parlait pour que sa parole allât tomber hors de l’enceinte sans que le moindre scrupule l’arrêtât dans ce fol amour de gloire malsaine, sans qu’il songeât à se demander si, par pure jactance, il n’enverrait pas d’un moment à l’autre quelque étincelle sur un brasier mal éteint. Il est des hommes publics qui ont eu des vices plus palpables peut-être, il n’en est pas que la vanité puisse jamais conduire si loin.

Sortons enfin de tous ces débats de personnes qui ont affecté profondément le moral de la nation. Passons maintenant aux affaires, aux finances surtout, qui sont le grand et difficile département du jour. M. Goudchaux ne cesse pas de combattre pour sauver l’équilibre de son budget ; il met dans sa vigueur une certaine bonhomie qui ne déplaît point à l’assemblée, et, s’il n’y a pas toujours au demeurant beaucoup de conséquence dans ses vues, il y a du moins chez lui la volonté très énergique de faire une administration loyale et honnête. M. Goudchaux a présenté bravement son projet d’income-tax, pour remplacer au plus vite l’impôt sur les créances hypothécaires ; nous y reviendrons à loisir. Il a dû, par contre, accepter la réduction dont la réforme postale va frapper le revenu de 1849 ; l’avantage reconnu de cette large mesure l’a emporté sur l’inconvénient d’un déficit temporaire pour les caisses du trésor. Nous félicitons M. de Saint-Priest de voir enfin triompher dans la nouvelle assemblée une réforme pour laquelle il avait si constamment plaidé dans l’ancienne chambre. En revanche,