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fait, en 1832, des cours de doctrine dans lesquels il professait ouvertement les opinions les plus rationalistes. Ces leçons furent réunies plus tard sous le titre de Bampton Lectures. En 1836, la chaire de doctrine vint à vaquer à l’université d’Oxford, et lord Melbourne, alors premier ministre, la donna au docteur Hampden. Lord Melbourne, homme fort aimé et fort aimable d’ailleurs, s’inquiétait probablement assez peu de théologie ; mais l’université d’Oxford passait généralement pour tory, et l’école rationaliste pour whig, et lord Melbourne, avec l’esprit qui distingue traditionnellement son parti, jugea que le théologien le plus whig devait nécessairement être le meilleur, le plus savant et le plus orthodoxe.

Cette nomination souleva une tempête dans l’université d’Oxford. Les membres les plus éminens de ce corps célèbre adressèrent à la couronne une pétition qui fut repoussée. Alors il se forma un comité dont faisaient partie le docteur Pusey, le docteur Newman, le docteur Vaughan, le docteur Palmer, le docteur Wilberforce, et quelques autres portant des noms bien connus, et qui traduisit le docteur Hampden devant l’université en convocation, comme prévenu d’hétérodoxie. Le vote de censure obtint une immense majorité ; cependant, comme il n’y avait pas de recours contre la prérogative royale, le docteur Hampden garda sa chaire.

Quelques années plus tard, il y eut un mouvement contraire dans l’université ; ce fut à son tour le docteur Pusey qui fut censuré comme suspect, non pas de rationalisme, mais de catholicisme. L’université cherchait ainsi à garder le milieu entre les deux tendances extrêmes. Néanmoins la condamnation première pesait toujours sur le docteur Hampden ; il n’avait, de son côté, rétracté aucune des opinions pour lesquelles il avait été censuré. Depuis quelque temps, la controverse théologique avait paru s’apaiser, et le calme semblait rétabli dans l’église anglicane, lorsque, à la fin de l’année dernière, lord John Russell ralluma tous les feux de la guerre par une provocation directe au parti orthodoxe.

Un des amis de lord John Russell, cet homme si étincelant d’esprit et de causticité qui s’appelait le chanoine Sydney Smith, a tracé de lui un portrait qui est un chef-d’œuvre : « Il n’y a pas, disait-il, un meilleur homme en Angleterre que lord John Russell ; mais son plus grand défaut, c’est qu’il est complètement étranger à toute espèce de crainte morale. Il n’y a rien au monde qu’il ne soit prêt à entreprendre. Je crois qu’il se chargerait de pratiquer l’opération de la pierre, de bâtir Saint-Paul, de prendre dans dix minutes le commandement de la flotte, et personne ne s’apercevrait à sa manière que le malade est mort, que l’église a croulé, ou que la flotte a été réduite en atomes. Il n’y a pas moyen de dormir tranquillement quand il est de quart. »