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mère, morte en 1828, mais qu’il avait eu le bonheur de recevoir à Rome, en 1826, avec sa jeune sœur, et dont la présence avait fait diversion un moment à l’obsession de ses idées, lui était un souvenir douloureux par les regrets, et cette sensibilité fébrile, ingénieuse à se forger des tourmens et des angoisses, reprenait fatalement le dessus.

Une belle parole, une belle action, lui tiraient sur-le-champ des larmes. Sensible aux malheurs privés, il l’était également aux malheurs publics. « Je ne sais, disait-il à M. Jesi (lettre du 25 avril 1832), pourquoi l’annonce de la mort de la grande-duchesse de Toscane m’a fait autant d’impression. Je ne l’ai pourtant jamais vue, mais on faisait tant d’éloges de son caractère et de sa bonté, que je suis toujours disposé à trouver que ce monde va bien mal, quand les êtres qui pourraient servir de modèles pour former une humanité meilleure nous sont enlevés ! » - « Il est bien triste, écrivait-il encore le 25 juin de la même année, de perdre ceux que nous aimons, et bien difficile de trouver des consolations pour ces événemens cruels, qui nous font voir notre néant. Le temps, en nous éloignant des malheurs que nous éprouvons, nous les fait quelquefois oublier ; mais la religion, à ce qu’il me semble, nous prépare à supporter ceux qui nous arrivent, et nous donne de la résignation et du courage. Ce n’est pas la religion de mots et de pratique, c’est celle du cœur, qui peut être, si vous le voulez, de la philosophie ; c’est, en somme, un sentiment bien intime que ce monde n’est pas notre seule demeure. »

La fin volontaire de son frère Alfred, en 1825, l’avait surtout frappé d’une commotion profonde. Depuis ce cruel événement, il était devenu plus morose, et, sitôt que cette pensée se faisait jour en lui, et elle se représentait souvent, il se sentait défaillir et frissonner. Qu’on lise ces paroles qu’il adressait à M. Marcotte :

« Voilà minuit qui sonne : j’ai voulu attendre jusqu’à ce moment pour vous dire que je pense à vous, à votre chère famille, et que mes prières pour votre bonheur, pour votre santé et pour toutes les satisfactions que vous pouvez désirer, sont plus ardentes que jamais. Voici donc une nouvelle année qui commence ! Comme le temps passe et combien d’événemens nouveaux il amène ! Il est certain qu’on ne peut les prévoir, et que la plus grande capacité humaine est souvent en défaut devant les secrets de l’avenir. Si au moins on avait la raison de se préparer à tout ce qui peut arriver, on éviterait bien des momens pénibles ; il faut dire cependant que l’on n’en aurait pas aussi de très doux. Ainsi, tout se compense assez. Il y a certainement des époques de la vie bien malheureuses, mais elles passent, et quelquefois elles sont suivies de calme et même de satisfaction, quand surtout l’ame a conservé de l’énergie dans la peine. Si, au contraire, elle est brisée dans la tempête, elle ne se relève plus quand le temps devient serein.