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me parler de ce qui, à votre idée, a influé beaucoup sur ma santé, et m’a beaucoup nui sous tous les rapports. Cher ami, c’est moi qui dois craindre de parler d’une faiblesse que je condamne sans doute, mais dont je ne puis être honteux. Moi seul je suis la cause d’un mal que j’aurais dû renfermer en moi-même ; ne pensez pas qu’autre que moi en soit coupable et ait, à cet égard, quelque chose à se reprocher

« Il faut toujours avoir en réserve de la patience et de la résignation ; avec cela, on se trouve toujours armé de courage et de force morale pour tout envisager avec philosophie. Chacun vieillit, et les années, qui, à une certaine époque de la vie, se passent si rapidement, nous font réfléchir au véritable but de l’existence. C’est encore une raison qui me console, car enfin les fausses illusions, qui se détruisent si facilement, ne peuvent être mises en balance avec la tranquillité que donne la réflexion saine de ce que nous devons être un jour. Dieu me préserve de désirer le mal pour essayer ma force à le supporter ! ce serait une folie condamnable. Prions plutôt pour éloigner de nous la coupe amère de la vie, et disons avec notre Modèle : « Mon père, fais que cette coupe, s’il est possible, passe loin de moi, non point comme je le veux, mais comme tu le veux ! »

Enfin, trois mois avant sa mort, il jetait de nouveau quelques paroles confuses et désordonnées sur cette passion fantastique, et le rire de l’égarement se mêlait, cette fois, à ses paroles.


Venise, 14 novembre 1834.

« Votre état, en recevant ma lettre, était plus nerveux que de coutume, et cette lettre vous a affligé encore ! J’en suis désolé, mon ami, d’autant plus qu’en l’écrivant je n’étais pas dans la situation d’esprit que vous avez cru voir. Il faut, à propos de cela, que je vous fasse rire ; j’en serais enchanté. Mon frère, avec son bon sens calme, après avoir lu les pages qui me sont adressées, me dit avec un sang-froid vraiment comique pour moi : « Ce bon M. Marcotte se tourmente beaucoup de ta passion. Cependant il me semble que quand, comme toi, on boit, on mange et on travaille, on n’est pas bien malheureux ! Tu devrais le lui dire. » Ceci vous instruira plus que tout ce que je pourrais vous écrire sur l’état où je me trouve.

« Mon bon ami, cet attachement ne me rend pas malheureux comme vous pouvez le penser, et, vous le dirai-je ? tout occupé qu’en soit mon esprit, telle impression qu’en reçoive mon ame, je trouve mon état bien moins pénible que le vide du cœur. Mais comment puis-je parler du vide du cœur, quand il est tout occupé de l’amitié qui nous lie et de mon affection pour ma famille ? C’est un blasphème ; mais le cœur n’a-t-il point des capacités pour recevoir des impressions diverses ? Nous autres artistes, nous en avons besoin plus que d’autres pour que l’imagination