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besoins se renouvellent, les récoltes se consomment, les vêtemens s’usent, les maisons bâties s’écroulent : c’est tous les jours à recommencer. En se renouvelant, les besoins s’accroissent, car les hommes se multiplient, et la fertilité de la nature s’épuise. A mesure, par conséquent, que la société vieillit, son poids devient plus lourd, et pourtant telle est sa robuste constitution, qu’elle le porte sans fléchir, et chaque jour plus aisément ; elle arrache à la nature, toujours plus avare, des biens toujours plus abondans. Sa charge croît avec les années, mais sa force croît avec sa charge ; elle suffit à tout, avec quelques sueurs sans doute et quelques larmes, mais sans grand effort apparent, par le seul jeu des intérêts, par les seuls ressorts de la liberté humaine. Nous l’avons vue nous-mêmes, au lendemain d’un jour néfaste, abandonnée de tous ses gardiens naturels, privée de toutes ses défenses extérieures, sans lois, sans magistrats, sans soldats. Elle allait encore de sa propre impulsion, elle se soutenait par sa seule force, et jamais elle ne nous parut plus grande. Regardez-la bien, novateurs, car, pour la remplacer, il faut commencer par l’égaler. Entrez avec nous dans l’intérieur de cette majestueuse machine, comptez-en tous les ressorts, mesurez la puissance et la résistance, pesez la masse que les leviers doivent soulever ; quand vous aurez senti ce qu’Atlas porte sur ses épaules, nous verrons, nouveaux Hercules, si vous serez encore si tentés de prendre sa place.

On n’attend pas de nous que nous passions en revue toutes les folles imaginations que le souffle révolutionnaire a fait éclore. Ce serait du temps perdu pour des lecteurs de M. Thiers. Cet examen forme, en effet, la partie la plus détaillée de ce beau livre, et a été évidemment la tâche favorite de l’auteur. M. Thiers a fait à tous nos réformateurs l’honneur très peu mérité, très inattendu même pour plus d’un, nous le pensons, d’une discussion dans les règles. Rien n’est plus grave de ton, plus nourri d’argumens et de faits, plus triste même au fond, si l’on veut, que ces deux admirables dissertations sur le socialisme et le communisme ; mais, par ce sérieux même qui contraste avec la vanité du fond, nulle lecture n’est en même temps plus divertissante. Il y a une ironie d’autant plus poignante, qu’elle n’apparaît nulle part et qu’elle transpire partout, à transporter ces rêves creux de solitaire dans le domaine de la réalité, à les réfuter par ce même mode d’éloquence pratique et familier qui rappelle de plus hautes discussions et de meilleurs jours. Retrouver ce ton véritablement politique dans un débat de ce genre, c’est un plaisir et une surprise que M. Thiers nous avait déjà fait plus d’une fois depuis le nouveau régime. Tant de gens avaient fait leur compte que le bon sens, l’esprit de gouvernement, l’habitude des affaires, la connaissance des hommes, étaient des qualités de la veille, qui ne reparaîtraient pas le lendemain ! Toutes les fois que M. Thiers a pris la parole dans ces discussions de notre assemblée nationale,