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est toujours au fond la même. La vie lui est toujours vendue par la nature ; il n’en a que ce qu’il en achète par ses sueurs. Il est donc d’une importance vitale pour la société de maintenir à chaque instant les facultés de tous les hommes qui la composent tendues en quelque sorte, par le travail, dans toutes leurs dimensions : son maintien est à ce prix. Pour obtenir de tous les hommes cet effort constant, la vieille société a deux aiguillons qui pressent incessamment ses flancs la crainte de la misère suspendue sur toutes les têtes, le désir du bonheur allumé dans toutes les ames. Elle tient tous les hommes en haleine entre un précipice ouvert à leur côté et une perspective brillante étendue devant leurs yeux. Elle dit à l’un : — Si tu ne travailles pas aujourd’hui, tu mourras demain. — Elle dit à l’autre : — Si tu travailles encore demain, après-demain tu seras heureux. — Et comme les sentimens personnels s’affaiblissent en avançant dans la vie, elle y supplée, nous l’avons vu, par l’ardeur de l’amour paternel. Ces sentimens réunis ne laissent pas à l’homme un instant de relâche : éveillé par le premier, il se met au travail ; retenu par le second, il y persévère ; il ne perd ni un jour de sa vie ni un atome de ses facultés. La crainte et l’espérance sont, par conséquent, les deux pivots sur lesquels joue la société. Voulez-vous savoir maintenant en deux mots ce que fait le socialisme ? De ces deux aiguillons, il supprime l’un et amortit l’autre. Entre l’homme et la nature, il introduit un tiers, qu’il appelle l’état, qu’il revêt d’une puissance imaginaire pour faire face à des charges impossibles, et qui vient dire à l’homme : Quoi que tu fasses, repose-toi sur moi, tu ne mourras pas, ne t’effraie pas de l’avenir ; mais, quoi que tu fasses aussi, ne te flatte pas de multiplier tes jouissances. Je ne te laisserai pas devenir trop heureux ; tu n’iras ni au-dessous ni au-dessus d’un certain degré. Bannis à la fois la crainte et l’espérance. La société est une barque qui remonte contre la marée et le courant. Le socialisme vient, fait tomber le vent et cargue les voiles.

Regardez bien au fond de tout système de socialisme ; c’est bien là non pas seulement son effet, mais sa prétention. Il n’en est pas un qui ne prétende à la fois préserver tous les citoyens, sous la garantie de l’état, des mauvaises chances de la destinée, et enfermer dans certaines limites l’accroissement de la richesse privée. On se fait gloire de la première entreprise, et on aurait raison, si des efforts humains pouvaient l’accomplir. On avoue moins hautement la seconde, mais on l’insinue à la tribune par des termes déguisés, et elle échappe, après boire, dans l’effusion des banquets. Le niveau, après tout, est le symbole de tout système de socialisme. Déverser le superflu du riche pour combler la misère du pauvre, c’est à quoi ils reviennent tous, tantôt par la voie directe de la spoliation, tantôt par la voie détournée de l’impôt. A merveille pour la première fois et quand le superflu du riche existe ; mais,