Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/603

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


SONNET.

(Imité de Keats.)


En s’en revenant un soir de novembre.

Piquante est la bouffée à travers la nuit claire ;
Dans les buissons séchés la bise va sifflant ;
Les étoiles au ciel font froid en scintillant,
Et j’ai, pour arriver, bien du chemin à faire.

Pourtant je n’ai souci ni de la bise amère,
Ni des lampes d’argent dans le blanc firmament,
Ni de la feuille morte à l’affreux sifflement,
Ni même du bon gîte où tu m’attends, mon frère !

Car je suis tout rempli de l’accueil de ce soir,
Sous un modeste toit où je viens de m’asseoir,
Devisant de Milton, l’aveugle au beau visage,

De son doux Lycidas par l’orage entraîné,
De Laure en robe verte en l’avril de son âge,
Et du féal Pétrarque en pompe couronné.

Je me suis arrêté le plus long-temps que je l’ai pu sous ces ombrages poétiques. J’avais peine à voir s’évanouir si tôt cette vie douloureuse qu’un souffle trop ardent avait desséchée. Les deux dernières années de Keats ne sont plus qu’une ruine et un supplice mêlés d’un épisode qui rend le supplice plus affreux et précipite la ruine. Comme s’il eût essayé de se rattacher à la vie par la passion, il s’éprit d’un amour violent qui l’occupa tout entier jusqu’à sa mort.

Avant sa vingt-unième année, à cet âge où l’on est sévère envers les femmes et où l’on se vante, à leur égard, d’une dédaigneuse pénétration, Keats pousse aussi loin que possible cette affectation de la jeunesse. Il les voit toutes avec un profond et inexprimable mépris, tant elles lui semblent éloignées de son idéal. Il a, dit-il, de la propension « à classer les femmes parmi les fleurs et les bonbons. » Il ne peut pas rester une demi-heure auprès de « ces petites créatures de pensionnat ; » toutes l’ennuient, et il ne sait en vérité comment être maître de sa mauvaise humeur, « quand il les entend babiller comme de petites pies, et qu’il les voit pirouetter comme des volans ; » il se reproche d’avoir été assez « jeune » pour les avoir divinisées, et il est revenu « à jamais, » comme un véritable écolier qu’il est, de « ces visions éthérées et féminines. » Mais, hélas ! voici venir des Indes orientales une beauté dont « le regard est opulent comme l’Orient, » et dont