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constitutionnelle avait du moins cela de bon, qu’elle ne réservait plus que des secondes places à l’appétit des ambitieux. L’effort, étant vers un but moins sublime, tirait moins à conséquence.

Pour M. Antony Thouret, il n’y allait point par tant de chemins et coupait court à toutes les craintes en supprimant la candidature qui les provoquait. Par un bel et bon amendement, il déclarait M. Louis Bonaparte hors de concours ; c’était une résolution héroïque qui venait in extremis. Le général Cavaignac ne pouvait manquer de se refuser au coup d’épaule qu’on lui donnait ; à la façon dont s’y prend M. Thouret, il y avait de quoi le renverser plutôt que le soutenir. Le général a soif de connaître l’opinion du pays ! Nous aurions désiré, pour notre compte et même aussi pour le sien, que cette soif fût moins ardente, et nous ne pouvons nous empêcher de pressentir une certaine fébrilité maladive dans cette impatience avec laquelle on a repoussé un provisoire de six mois, qui, par ce temps-ci, valait presque un siècle. Que de soucis on se fût épargnés de tous les côtés, en ajournant à un même délai l’élection du président et la réélection de l’assemblée nationale ! Du reste, il paraît que l’impatience du général Cavaignac gagne beaucoup les amis qu’il a dans l’assemblée ; ils sont aussi pressés que lui de savoir « où est la confiance du pays. » Il leur serait même assez agréable de la diriger un peu, et ils voudraient bien entrer en campagne. Nous ne les blâmerions pas d’un zèle très permis, s’ils ne sacrifiaient trop, dans cette occasion, le soin de la sécurité publique, dont ils sont investis par leur mandat, au service de sympathies particulières, que leur mandat ne recommande pas. Les sympathies particulières engageraient quantité de députés à retourner chez eux pour appuyer de leur présence la candidature de leur goût. La sécurité publique veut que l’assemblée reste au lieu de ses délibérations en nombre respectable, pour faire face à tout événement, et quel événement ne peut-on pas prévoir aujourd’hui ! D’abord, inspirée par cette sage appréhension, l’assemblée, saisie d’un projet spécial, avait décidé qu’elle ne se prorogerait pas ; mais, les convenances personnelles se mêlant aux intentions politiques, elle est revenue en fait sur le principe qu’elle avait adopté en droit, et, malgré l’opposition plus courageuse qu’habile de M. Lherbette, elle donne des congés par masse, si bien qu’on lui demande maintenant de réduire le quorum nécessaire à la validité de ses actes.

C’est devant cette assemblée ainsi diminuée que se discute le budget rectifié de 1848, et c’est un singulier spectacle de voir le comité des finances, armé du droit d’économie que la république s’est arrogé comme une vertu inhérente à sa nature, éplucher un budget de 1,800 millions pour y trouver 6 millions à rabattre. Les hommes spéciaux n’ont qu’à ouvrir la bouche pour établir qu’il n’y a point de réduction possible, à moins de vouloir désorganiser les services, et, quant aux réductions faites par les procédés arbitraires du gouvernement provisoire ou de ses plus directs imitateurs, on leur sait moins de gré du bénéfice qu’elles donnent qu’on ne leur en veut du désordre qu’elles causent. Il n’est personne cependant qui ne sente vivement la gravité de la situation financière. À moins d’accidens nouveaux d’ici à la fin de l’année, nous couvrons encore tant bien que mal l’exercice 1848 avec force emprunts et ressources extraordinaires. L’équilibre de 1849 est loin, malheureusement, d’être aussi probable, et, sans compter que cet exercice aura d’abord à supporter le déficit des 90 millions que nous couvrons cette année avec les 200 millions empruntés à la Banque, il a