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poètes, une journée qui commence comme une matinée de printemps et finit comme une nuit d’été ; car il semble qu’il y ait dans les jeux de la poésie et de l’esprit un épanouissement successif dont le soleil marque les phases. Le matin, la poésie s’éveille emperlée, fraîche et parfum comme l’aurore, rieuse et chantante comme l’oiseau : c’est la fantaisie. L’humour, avec ses caprices, ses raffinemens, ses vagabondages, est la poésie du milieu du jour. L’esprit, c’est la poésie joyeuse et tapageuse à l’heure du dîner, ou babillarde, précieuse et gantée dans un salon. L’imagination enfin est là muse rêveuse au clair de lune, la muse qui donnait « ses doux plaisirs » au vieux du Bellay « sous la nuit brune, »

Dessus le vert tapis d’Alors qu’en liberté,
Dessus le vert tapis d’un rivage écarté,
Il la menait danser aux rayons de la lune.


Imagination and Fancy, Wit and Humour, cela fait donc bien en vingt-quatre heures le tour du cadran poétique. Commençons par le premier volume de Leigh Hunt, celui de la fantaisie et de l’imagination, pour le reprendre en finissant. Ce volume nous porte en plein dans la poésie exubérante du XVIe siècle et de la renaissance. C’est le beau matin de l’histoire littéraire de nos voisins, l’ère de la poésie jaillissant et débordant sans entraves, fraîche et pure comme l’eau de source, l’ère de Spenser et de Shakspeare. Vous entendez l’alouette de Roméo : « Mon amour, vois quelles lueurs jalouses traversent les nuages là-bas à l’orient. Les chandelles de la nuit sont éteintes (Shakspeare ne dit pas les lampes d’or de la nuit, comme les bons élèves de rhétorique de nos jours : on ne connaissait pas les lampes Carcel dans ce temps-là), et le jour joyeux vient sur la pointe du pied au sommet des montagnes brumeuses. » Vous entendez ces vers de Fletcher, qui vous rafraîchissent le sang comme un souffle matinal : « Vois, le jour commence à poindre, et la lumière éclate comme une traînée de feu clair. Le vent souffle froid pendant que le matin se déplie. » C’est une de ces brises folâtres qui emporte dans son léger tourbillon la troupe fantastique de Titania fuyant le soleil et « suivant la nuit comme un rêve. » Vous respirez un air de ce printemps que Chaucer faisait pressentir, lorsqu’il partait pour son gai pèlerinage de Canterbury, « au moment où les douces pluies d’avril ont percé jusqu’aux racines la sécheresse de mars et versé dans les veines des plantes le doux baume qui produit les fleurs, au moment où les petites créatures ailées qui dorment toute la nuit les yeux ouverts commencent leur musique. » Printemps qui durait encore lorsque Milton chantait dans son Allegro « ces vents espiègles qui un jour de mai, lutinent l’Aurore sur des lits de violettes, bleues et de roses trempées de rosée. »

Et cependant il y a toujours eu des gens qui ont cru la poésie au