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sa poitrine, colla sur sa bouche ses lèvres brûlantes. Émue, honteuse, frémissante, furieuse, elle se dégagea alors, courut à la porte et sortit. Il était trop tard ; la guerre était déclarée. Ladislas avait eu l’avantage, et il n’était pas homme à en rester là.

Une minute plus tard, M. de Mortemer revint, un chandelier à la main. Ladislas s’excusa d’avoir attendu pour partir des nouvelles de Mme de Mortemer ; elle allait mieux : le mari se chargea de lui présenter les hommages du jeune homme, qu’on espérait bien d’ailleurs revoir à Paris. Invité à se présenter de nouveau dans cette rue qu’il connaissait si bien, notre ami prit congé du vieux militaire. — Bonne chasse ! lui dit celui-ci en le quittant. — J’y ferai de mon mieux, reprit l’autre en souriant.

IV.

À cette époque où les habitués de Chantilly n’avaient pas encore, pour retourner à Paris après les courses, la voie si commode et si rapide du chemin de fer, la jeunesse brillante attendait le lendemain pour regagner la capitale, et cette dernière nuit se passait au milieu d’ébats, il faut le dire, très bruyans. Les pétards, les fusées, éclataient de tous côtés dans les rues ; on prenait à l’assaut des maisons dont les habitans amis se défendaient vaillamment ; on buvait un peu, on dansait beaucoup, on jouait trop. Tel maître de maison, pour mieux faire les honneurs de sa demeure provisoire, avait amené de Paris trois belles hôtesses, élégamment vêtues aux couleurs de sa livrée, lesquelles l’aidaient à recevoir ; tel autre avait la singulière idée de donner une chasse à courre, au beau milieu de la nuit, dans les rues paisibles de Chantilly, et voilà qu’une bande d’écervelés, montés sur des chevaux excellens, munis de trompes étourdissantes, armés de torches, se mettaient à parcourir la ville au triple galop, sonnant des fanfares, poussant des hurrah, réveillant enfin par un épouvantable vacarme les bons bourgeois, qui entr’ouvraient de loin en loin leur fenêtre, et apparaissaient un bougeoir à la main, la figure bouleversée, le chef coiffé d’un bonnet de coton. Qu’on devine les rires et les sérénades qui accueillaient ces apparitions burlesques ! Aux heures de ces saturnales, les sportsmen se croyaient tout permis ; sans plus de souci que leurs pères, ils eussent, en dépit de la Bastille, rossé le guet, mis en fuite la maréchaussée.

Ladislas, au sortir de l’émouvante conversation que je vous ai racontée, s’était machinalement dirigé vers la petite place où commençait le tapage. Un peu préoccupé d’abord, il fut bientôt distrait par l’entrain bachique des rieurs, et, comme il n’était point d’un tempérament morose, la gaieté générale le gagna. Ce soir-là, comme les autres et plus que les autres, il se mêla aux divertissemens accoutumés.