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coïncidence frappante, sont républicains : non qu’ils aiment ou supportent mieux le gouvernement républicain que tout autre, mais ils espèrent, sous la république, des armes plus fortes pour eux, des digues moins fortes contre eux ; tel est le secret de leur préférence. Voilà dans l’ordre civil et dans l’ordre politique, les élémens essentiels constitutifs de la société française ; ils peuvent se combattre et s’énerver ils ne sauraient se détruire ; ils survivent à toutes les luttes où ils s’engagent, à toutes les misères qu’ils s’imposent mutuellement. Le jour où ils se réconcilieront, la société sera sauvée.

Il faut qu’ils se réconcilient, ou, en se condamnant eux-mêmes à des douleurs infinies, ils pousseront la France à une ruine irrévocable. Il faut conclure la paix sociale, pour conjurer la guerre du socialisme ; mais la paix sociale comprend des conditions politiques et des conditions morales. La première condition politique, c’est que les grands élémens de notre société, l’ancienne aristocratie, les classes moyennes le peuple, renoncent à l’espoir de s’exclure mutuellement, et abandonnent la prétention qu’ils ont eue chacun tour à tour, depuis soixante ans, d’accaparer l’influence politique ; c’est, en un mot, que tout en continuant à lutter entre eux d’émulation, en maintenant chacun sa position et ses droits, ils se résignent à vivre ensemble dans le gouvernement comme dans la société civile. La seconde condition découle de la première : elle veut que cette coexistence des élémens divers de la société soit garantie par des institutions politiques. La diversité de ces élémens repousse, en effet, l’unité du pouvoir central. L’unité du pouvoir, exprimée tantôt par un roi, tantôt par une assemblée, est une fausse représentation de la société ; elle traite un peuple comme une simple addition d’individus, au lieu de le considérer comme un grand corps organisé, comme un être moral formé d’élémens multiples, de facultés variées, dont la combinaison fait son originalité et sa vie. Il faut, pour que les intérêts divers soient conciliés, que les élémens permanens et les élémens mobiles de la société soient représentés au sommet de l’état par des pouvoirs qui leur soient analogues, et qui leur servent de défense ; il faut que ces pouvoirs soient forts, car tout pouvoir énervé est condamné à la mort ou à l’usurpation ; Ce n’est pas seulement au sommet de l’état, c’est sur toute la face du pays que ces principes doivent présider à l’organisation du pouvoir. Le temps de la centralisation absolue est passé ; elle ne suffit plus aux besoins et aux périls de notre société. La lutte n’est pas seulement au centre, elle est partout. C’est trop peu pour défendre les bases de la société partout attaquées que des fonctionnaires et des ordres venus du centre, même soutenus par des soldats : il faut que partout les propriétaires, les chefs de famille, les gardiens naturels de la société, soient mis en mesure et en devoir d’en soutenir la cause. Si tous les élémens de stabilité, toutes