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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/337

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d’eux-- parce que la résistance, d’où qu’elle vienne, leur est un utile rempart contre le flot qui les a renversés, et il arrive ainsi qu’il ne reste plus en présence dans le champ clos politique que des révolutionnaires et des rétrogrades. C’est là ce qui se voit maintenant en Prusse, où l’approche des élections ordonnées par le commencement de 1849 détermine un mouvement d’opinions dans lequel les anciens constitutionnels sont évidemment débordés.

Les défenseurs éclairés de la cause à la fois monarchique et libérale ne savent ni s’organiser, ni même se rejoindre ; ils n’ont ni chefs ni drapeaux. L’état de siège et l’interdiction rigoureuse de toute assemblée publique dans Berlin pèsent à peu près exclusivement sur eux ; les radicaux, en effet, ont toujours moyen de se rallier, grace aux affiliations dont ils n’ont pas perdu la pratique, et cachent dans l’obscurité où ils s’enveloppent la diminution de leur influence et de leur nombre. La province se partage aussi entre ces deux camps extrêmes ; il n’y a que des clubs ultra-démocratiques où ultra-royalistes ; point de milieu : les modérés, qui seraient la majorité s’ils s’unissaient, vont de l’un ou de l’autre côté, par dégoût ou par peur de celui où ils ne vont pas. Les clubs royalistes s’instituent particulièrement sociétés prussiennes (Preussenvereine) : pendant que les radicaux se prononcent d’avance contre la constitution, sous prétexte qu’elle ne dérive pas de la souveraineté du peuple ; pendant qu’ils poussent cette idée de souveraineté jusqu’à l’absurde ou jusqu’à l’horrible dans des populations encore mal formées à la vie publique, on se pare fièrement de la croix de fer dans les sociétés prussiennes, on arbore l’antique et loyale devise : « Avec Dieu pour le roi et la patrie ! » On ne reconnaît là qu’un seul pouvoir en droit et en fait, celui de la couronne ; on maintient qu’il n’y a point eu de révolution à Berlin, mais seulement une émeute, et que la constitution ne devait venir que du roi, qui a bien voulu l’octroyer, le 5 décembre, dans la plénitude de sa grace.

Radicaux et royalistes se disputent d’ailleurs à qui mieux mieux l’amitié des prolétaires. À Kœnigsberg, on donne trois groschen aux ouvriers pour les faire aller aux sociétés prussiennes, et l’on en rencontre plus d’un pendu au bras de quelque haut baron, qui le promène lentement par les rues, au grand scandale des bourgeois. Le diable en dedans n’y perd rien, et l’antique orgueil prend sa revanche. Il y a tel gentilhomme de province que son nom féodal n’empêchait pas de montrer du goût pour tous les sages progrès, et qui trouve désormais porte fermée chez les hobereaux ses voisins, parce que, disent-ils, ils ne veulent pas voir de républicains. On en est là dans une bonne partie de la Prusse du nord. Les paysans de leur côté, dans bien des endroits, après s’être fort réjouis d’avoir la liberté de la chasse, qui leur représentait le plus gros de la révolution, ne s’en soucient plus et louent leur droit. Après avoir exclu dans leurs élections les propriétaires et les employés, pour ne nommer que leurs pairs, ils en reviennent à penser qu’ils ne peuvent être ni bien conduits ni bien conseillés par un paysan comme eux : c’est un vieux trait de nature rustique. Ils se méfient toujours un peu des nobles, qui n’ont plus cependant ni redevances ni corvées à prétendre, mais qui tirent meilleur parti qu’eux de leurs terres en dépensant leur argent à les améliorer, au lieu de l’enfouir, comme fait encore l’homme de campagne. Ils en veulent un peu au pasteur, qui perçoit toujours sa dîme, si faible soit-elle. Ils aimeraient pourtant à choisir quelqu’un qui sût parler, pour que leur commune ne fût pas tout-à-fait muette à Berlin ; ils prennent les avocats, des petites villes. Il y aura là un élément dangereux dans le prochain parlement.