Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme le fer d’une flèche. Des serpens de toutes nuances et de toutes dimensions se roulent et se déroulent nonchalamment sous les tiges d’herbes et font craquer les feuilles mortes ; Jack assure encore qu’ils ne sont là que pour leur plaisir, et le docteur ne fait plus attention qu’à ne pas les écraser en marchant. Tout à coup, à l’entrée d’un jungle épais, l’Indien s’arrête. L’écho répète au loin les notes saccadées du lion d’Amérique ; ces notes, auxquelles se mêlent des hurlemens plaintifs, se rapprochent ; cette fois l’indien dit : Fixez vos yeux sur moi ; puis il ne parle plus que par signes. Le moment est solennel ; les deux compagnons ne marchent que la barbe sur l’épaule, comme disent les Espagnols. Un ravin profond se présente, au fond duquel des flaques d’eau reflètent la verdure sombre du feuillage. Les deux chasseurs s’arrêtent sur la berge et prêtent un moment l’oreille à l’harmonie des bois, si l’on peut appeler ainsi un orchestre sauvage de glapissemens, de cris aigus et de hurlemens. Après cette courte halte, ils s’élancent résolûment dans le ravin ; mais ils ont à peine commencé à descendre le talus, que de formidables rugissemens retentissent tout près d’eux. L’indien se couche à plat ventre, le docteur en fait autant. Quelques minutes d’attente se passent. Enfin les chasseurs voient apparaître au bout du ravin un poulain sauvage qui fuit comme le vent. Deux magnifiques tigres bondissent derrière lui. Le pauvre animal, épuisé de fatigue et de terreur, tombe sur le poitrail tout près de la cachette choisie par les chasseurs. Un des tigres s’avance en rampant ; puis, d’un bond de vingt pieds, s’élance sur le dos du cheval, le saisit au cou avec un effroyable miaulement ; l’autre tournoie autour de lui, fouettant ses flancs de sa queue et poussant de sourds grognemens. Les deux tigres sont trop occupés de leur victime pour éventer l’odeur des témoins de cette scène. – Etes-vous prêt ? — Oui. — Tel est le court dialogue des chasseurs ; chacun arme sa carabine, deux coups de feu retentissent sous les voûtes épaisses du ravin. Des deux tigres, l’un roule convulsivement sur le sable et reste immobile ; c’est la balle de l’Anglais qui l’a frappé. L’Indien a été moins adroit ou moins heureux ; le tigre qu’il a touché, quoique blessé grièvement, est encore plein de vigueur et de férocité. En dépit des remontrances de M. Coulter, Jack dégaîne un long couteau, et s’avance vers l’animal, qui, furieux de sa blessure, déchire le sol de sa griffe et fait voler un nuage de poussière. L’indien se lance hardiment dans ce nuage, qui ne laisse plus voir au docteur qu’un bras rougi de sang, les lueurs d’un couteau qui s’élève et s’abaisse, les éclairs d’yeux fauves et deux corps qui roulent l’un sur l’autre. Chacun des hurlemens du tigre signale au docteur une nouvelle blessure faite par le couteau de Jack, jusqu’à ce qu’enfin l’animal vaincu tombe sur la place, râle, frissonne et meurt. — Un diable ! dit Jack en se relevant. — Il ne reste qu’à dépouiller les deux terribles animaux de leur magnifique