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d’un cuisinier du couvent des Carmes, fort aimé de ce peuple de mendians, à qui il distribuait des vivres ; ce nouveau chef, plus avisé que Masaniello, s’enferma dans une forteresse appelée le Torrion des Carmes, y accumula toutes les richesses et toutes les munitions qu’il put ramasser, et laissa ses compagnons à peu près maîtres de faire au dehors ce qui leur plairait : ceux-ci en profitèrent largement.

Cette anarchie sanglante eut bientôt porté ses conséquences naturelles ; la misère et la famine s’abattirent sur la malheureuse cité et amenèrent le découragement général. « Les Napolitains, dit le comte de Modène, eurent à souffrir de la cessation de toute sorte de commerce, lequel fait la plus grande richesse de cette cité, dont tout le peuple ne subsiste que par le trafic et les manufactures qui le rendent considérable par tous les climats de l’Europe (ne dirait-on pas encore ces détails écrits d’hier ?), de l’abandonnement de l’agriculture, dont ces tumultes suspendaient entièrement le travail, et du manquement des vivres, dont les soulevés et les royalistes se fermaient réciproquement les passages, sans que celui qui en privait son ennemi en profitât en son particulier. La populace nécessiteuse murmurait en secret et publiquement un peu après, à mesure que le pain diminuait de poids ou de qualité, criant hautement que la liberté lui serait plus funeste qu’avantageuse, s’il la lui fallait acquérir par une famine générale ; que les chefs qui l’exhortaient à souffrir patiemment haranguaient bien à leur aise, après s’être remplis des viandes dont leurs pilleries faisaient regorger leurs maisons ; qu’ils veillaient plutôt dans leur intérêt que dans le bien public ; que l’on ne songeait qu’à brûler où à saccager des maisons, et non pas à ouvrir les passages des grains dont toutes les provinces circonvoisines abondaient ; que, si l’on ne pouvait trouver un prompt remède à tous ces maux, il valait mieux s’accommoder avec les ministres d’Espagne que de se voir contraints à mourir de faim, et que, pour conclusion, il fallait du pain où la paix. »

Toutes les anarchies se ressemblent. Toute société qui se laisse détourner de ses voies naturelles tombe infailliblement dans les mêmes erreurs. La domination des Lazares avait, en trois mois, amené la famine dans un des pays les plus fertiles du monde ; le règne des sans-culottes devait produire plus tard en France le même résultat ; en 1647, on imagina les mêmes remèdes qu’on devait imaginer encore en 1793, les poursuites contre les accapareurs, les prohibitions, le maximum, et ces remèdes ne firent, à Naples comme à Paris, qu’aggraver le mal. Le 16 octobre 1647, on rendit, au nom du peuple, une ordonnance portant « qu’aucune personne, de quelque condition qu’elle fût, dans l’étendue de l’état, ne pût faire commerce de blés, farines, orges, vins ni autres choses comestibles, en les achetant pour les revendre, à peine de la vie et de la confiscation de ses biens, applicables, le quart à l’assassin ou