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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/90

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aucun d’eux n’a senti faiblir sa foi politique, — foi dans le principe de liberté chez Louis-Philippe et M. Guizot, — foi dans le principe d’autorité chez M. de Metternich. L’histoire pourra dire d’eux comme de la première émigration, — mais ce ne sera plus un blâme, — qu’ils n’ont rien oublié et rien appris. C’est la société qui, en leur absence, aura beaucoup appris et oublié En restant stationnaires, leurs idées sont redevenues actuelles ; l’esprit public n’aura marché un instant sans eux que pour revenir, par un brusque détour, à côté d’eux. Autorité, liberté, n’est-ce pas là, en effet, le double cri qui s’échappe déjà de toutes les poitrines ? Quelles seront les conditions définitives de l’accord de ces deux tendances ? L’avenir seul le sait ; mais cet accord est inévitable, tout y tend. L’excès aura produit aujourd’hui comme toujours sa réaction naturelle Chez nous et ailleurs, le parti révolutionnaire a tant fait à la fois contre l’idée de liberté et l’idée d’autorité, que ces deux dogmes, trop long-temps réputés incompatibles, sont désormais inséparables dans le vœu européen La situation est à l’école politique qui saura mieux les grouper. L’insuccès des deux dernières expériences constitutionnelles ne saurait être un argument contre cette fusion de principes. La branche aînée et la branche cadette sont tombées, non pas pour les avoir accouplés, mais bien parce que l’une leur avait fait des parts trop inégales, et parce que l’autre avait cru ne pouvoir les concilier qu’en les amoindrissant. À l’heure du danger, Charles X n’a pu s’appuyer que sur l’autorité seule. Le gouvernement de juillet, moins heureux encore, n’a trouvé son point d’appui ni dans l’autorité ni dans la liberté, car, sous l’empire des préjugés contradictoires qui l’avaient entouré à sa naissance, il s’était trouvé conduit à les affaiblir toutes deux. Ces préjugés se sont heureusemnt évanouis. Nul pouvoir honnête ne saurait désormais se défier de la liberté ; elle a fait ses preuves par le suffrage universel, qui, à travers les fautes et les contradictions d’un premier essai, a montré des instincts essentiellement modérateurs. Nul parti honnête n’oserait non plus récuser l’autorité, car l’ascendant du droit, et l’expérience parle encore ici, est, en résumé, plus tolérable que la capricieuse tyrannie de la foule. Les deux principes sont réconciliés dans les opinions, ils ne peuvent tarder à l’être dans les faits. Sous quelle forme ? Peu importe. Dans le passé comme dans le présent, dans la forme républicaine comme dans la forme monarchique, les systèmes politiques les plus résistans sont ceux qui ont simultanément accepté ces deux forces : voilà l’essentiel. Si la république romaine dans l’antiquité, la monarchie anglaise de nos jours, ont si vigoureusement tenu tête, l’une à la loi agraire, l’autre au chartisme, c’est que leur constitution avait tout à la fois pour base la liberté, pour sommet l’autorité.


GUSTAVE D’ALAUX.