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cherché, jusqu’à un certain point, à caractériser la physionomie des Saxons en regard de celle de leurs adversaires cynaris. Sans puiser son merveilleux dans la mythologie trop peu connue du Nord, il ne s’est pas refusé à lui emprunter plus d’un prétexte de tableau comme plus d’une image ; enfin, une de ses principales ambitions a été de jeter sur le fond de ses peintures « non plus les couleurs du Midi ou de l’Ouest, mais celles du Nord, du berceau de la chevalerie, avec ses mers polaires, ses merveilles naturelles, ses sauvages légendes et ses restes antédiluviens. » Il n’est pas moins certain que le monde où M. Bulwer entend nous conduire est situé fort loin de la vérité historique, fort loin même de la terre que nous habitons. Qu’on en juge.

Au début du poème, Arthur, entouré de ses paladins, célèbre le printemps dans la vallée de Carduel et murmure nonchalamment ses vœux de jeune homme : « Les sages, dit-il, nous répètent que l’homme est inconstant, et pourtant il me semble que, comme cette douce journée d’été, je laisserais volontiers toutes mes heures s’écouler au milieu des fleurs et des parfums. C’est le temps et non l’homme qui change. » Tout à coup une forme surnaturelle se dresse devant le royal rêveur (le poète nous apprend plus tard que c’est l’image de sa conscience), et elle l’entraîne dans une forêt voisine, au bord d’une mare noire et stagnante, sur laquelle Arthur aperçoit des hordes d’ombres saxonnes envahissant peu à peu les montagnes des Cymris. Le jeune prince raconte sa vision au sage Merlin, qui lui fait connaître l’arrêt de la destinée : il doit retourner au labeur, « le premier et le plus noble patrimoine de l’homme ; » et Carduel ne sera sauvé que s’il parvient à conquérir trois talismans : un glaive de diamant, gardé par des génies au fond d’un lac ; le bouclier de Thor, sur lequel veille un nain farouche, habitant des entrailles de la terre, et enfin une enfant aux doux yeux, l’épouse promise, que le jeune roi doit trouver endormie devant les portes de fer de la mort. Le sujet du poème est ainsi indiqué. Les merveilleux voyages d’Arthur à travers toutes les provinces du royaume de l’impossible forment la principale partie du récit. Le héros breton ne s’arrête guère dans le domaine des réalités que pour passer quelques jours à la cour de Ludovick, roi des Vandales (lisez Louis-Philippe, roi des Français, car, un peu à la manière de M. Disraëli, M. Bulwer nous retrace une sorte de tableau satirique des derniers événemens de notre histoire) ; puis ses épreuves commencent dans une vallée fortunée, ceinte de toutes parts d’inaccessibles rochers et habitée par un clan d’anciens Étrusques qui ne soupçonnent pas même l’existence du reste de l’univers. Les périls qui l’attendent dans cet Eldorado sont aussi charmans que les fleurs de ses jardins : ce sont les yeux d’Églé, la fille du dernier prince de la colonie étrusque et l’unique rejeton de la race royale ; d’Églé, qui l’aime bientôt de toute son