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Toutes résumées et succinctes que sont ces pages, quiconque les aura parcourues sentira que les spéculations de la logique et de la science ne sont pas renfermées dans l’enceinte de l’école et qu’elles exercent une influence, médiate il est vrai, mais irrésistible, sur les destinées sociales. Il reconnaîtra que la philosophie gréco-romaine a préparé partout dans l’Occident l’avènement du catholicisme ; il verra que Dante, en mettant dans son Paradis l’éternelle lumière de Siger (je me sers de son expression) et le syllogisme, n’a pas eu tort ; car le syllogisme a vaillamment rempli sa tâche. Il comprendra que, si un homme démontre le mouvement de la terre, si celui-là crée la chimie, si un autre systématise la biologie, cela n’est indifférent ni aux autels ni aux trônes. L’expérience le fait voir ; mais la théorie historique le prouve en prouvant comme quoi l’état révolutionnaire est, à certains momens, inévitable, légitime, héroïque, et d’ailleurs le seul compatible avec la condition mentale de la société. L’établissement du christianisme, que fut-ce autre chose qu’une longue révolution de plusieurs siècles ? et qui maintenant, si ce n’est quelques admirateurs rétrogrades de Julien, n’y applaudit et ne s’y associe ? Qui aussi, dans un avenir qui n’est plus très éloigné, n’applaudira et ne s’associera aux révolutions qui nous emportent à notre tour ? L’anarchie est la compagne menaçante et le danger de pareils états. L’anarchie, lors de la chute du paganisme, se montra sous forme d’hérésies religieuses ; aujourd’hui elle se montre sous forme d’hérésies sociales. Concilier l’ordre et le progrès est l’obligation de la doctrine rénovatrice qui doit prévaloir. J’ai fait suffisamment entendre quelle est, dans mon opinion, celle qui satisfait à cette condition. En attendant, il est un point qu’on perd trop de vue : à chaque menace de l’anarchie, on se rejette, pour la conjurer, vers les institutions qui, dans le passé, étaient la garantie de l’ordre, de sorte qu’on demande à des choses qui, à l’époque de leur force et de leur splendeur, n’ont pu se soutenir, de nous soutenir et de nous défendre à l’époque de leur décadence et de leur faiblesse. C’est l’utopie de Sisyphe voulant porter en haut une pierre qui est destinée à rouler en bas.

Le mérite de M. Barthélemy Saint-Hilaire est d’avoir fait présent au public d’une excellente traduction de l’ouvrage d’Aristote. Le mérite de M. Mill est d’avoir tracé le premier les linéamens de la logique positive. Pour moi, s’il m’est permis de caractériser la tâche beaucoup plus humble et moins laborieuse que je me suis donnée dans cette Revue, j’ai essayé de faire saisir la filiation entre la logique du IVe siècle avant l’ère chrétienne et la logique du XIXe siècle.


É. Littré,
de l’Institut.