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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/117

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malheur. Selon que les Blanquettes sont contentes ou chagrines des préparatifs faits pour les recevoir, elles déposent un instant sur la table l’un ou l’autre enfant, et décident ainsi du sort de la maison pendant toute l’année. Le lendemain, la famille vient vérifier le couvert des Blanquettes. Si tout est en ordre, on en conclut qu’elles sont parties satisfaites ; le plus vieux prend le pain, le rompt, et, après l’avoir trempé dans le vin, le distribue aux assistans pour partager entre eux le bonheur ! C’est alors seulement que l’on se souhaite bon an et joyeux paradis.

Ainsi, à toutes les époques, dans toutes les croyances et chez toutes les races, l’homme a eu besoin de croire à des divinités qui décidaient de sa destinée. L’universelle protection du grand Être n’a jamais pu suffire à sa faiblesse ; il lui a fallu des dieux secondaires qui fussent ses fondés de pouvoir spéciaux ou ses ennemis particuliers dans le monde invisible, et auxquels il pût reporter ses échecs et ses réussites. Le christianisme lui-même, qui agrandit et qui éleva si haut l’idée de la divinité, ne put échapper à cet éparpillement de la puissance surnaturelle. Aux héros divinisés il substitua ses bienheureux, aux génies domestiques ses anges gardiens, aux déesses ses vierges saintes et surtout la mère du Christ. Le point de transition entre les deux théogonies resta même visible dans l’histoire, car il y a un moment où toutes deux coexistèrent et où le monde païen et le monde chrétien, personnifiés par leurs vivans symboles, luttèrent dans la tradition comme dans le poème de Chateaubriand. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, la légende rapporte qu’au temps de saint Grégoire, Rome était encore habitée par beaucoup de gentils qui conservaient chez eux les images de leurs faux dieux. Grégoire ordonna de transporter toutes ces idoles au Colisée, où l’on s’exerçait aux jeux de la palestre. Un jeune chrétien, qui se préparait à y prendre part, craignit de perdre son anneau, et, ne sachant où le déposer, il le passa au doigt d’une statue de la Vénus Aphrodite, où il l’oublia. Le soir même, le simulacre impudique vint prendre place dans le lit nuptial entre lui et sa jeune épouse, et se représenta de même toutes les nuits. Le chrétien s’adressa à la Vierge pour être délivré de cette obsession, et fit sculpter une statue de la Mère douloureuse, qui fut placée sur le dôme de Notre-Dame de la Rotonde ; mais la statue disparut le jour même de son érection, et tout le peuple cherchait la cause de cette disparition, lorsqu’on la vit revenir tenant à la main l’anneau du jeune chrétien, qui fut dès-lors délivré de sa fiancée de marbre.

Plus tard, lorsque les fables celtiques et scandinaves vinrent se mêler à la tradition, la trace antique se montra moins clairement. La Vénus Aphrodite fut transformée en une de ces fées, sœurs aînées d’Armide, qui s’éprenaient des chevaliers les plus braves et les tenaient endormis