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le gouverneur Lawrence monta sur les marches de l’autel, tenant en main la commission royale contre-signée de Chatham « Vous êtes convoqués, dit-il en anglais aux colons acadiens, par l’ordre de sa majesté. Sa clémence envers vous a été grande. Vous savez comment vous y avez répondu. La tâche que je dois accomplir est pénible, elle répugne à mon caractère ; mais elle est inévitable, et je dois accomplir la volonté suprême de sa majesté. Tous vos biens, domaines, troupeaux, propriétés, pêcheries, pâturages, maisons, bestiaux, sont et demeurent confisqués au profit de la couronne. Vous êtes condamnés à la transportation dans d’autres provinces, selon le bon plaisir du monarque. Je vous déclare prisonniers. » Les Acadiens étaient venus sans défiance et non armés. S’ils avaient pu prévoir une résolution si barbare et si inouie, ils auraient appelé à leur aide huit tribus indigènes qui leur étaient dévouées, et qui les auraient aidés à se défendre les armes à la main ou à trouver asile dans les forêts séculaires. Cinq jours seulement leur furent accordés. Les soldats chargés de les garder incendièrent maisons, granges, église ; à peine laissa-t-on quelques vêtemens et quelques meubles à ce peuple agricole et pêcheur qui n’avait pas de numéraire. Comme on trouvait dans toutes les cabanes des signes d’idolâtrie, c’est-à-dire la croix du Sauveur et l’image de la sainte Vierge, le fanatisme anglican, animé par le voisinage des puritains de Pensylvanie, poussa la barbarie jusqu’à l’atrocité. On ne permit pas aux jeunes enfans de s’embarquer avec leurs mères, aux maris d’accompagner leurs femmes. Le désespoir des vieillards, la résistance des hommes, les cris et les larmes des femmes furent impuissans. « C’était, dit M. Halliburton, un spectacle plus horrible que celui du sac de Parga, un acte dont toute cette partie de l’Amérique a conservé le profond souvenir, et qui n’a pas peu contribué à exciter la haine républicaine contre les partisans de la royauté britannique. » — Cependant les moteurs de cette exécrable persécution étaient le patriote Franklin et le patriote Chatham ; les instrumens de cette vengeance contre des catholiques étaient des soldats presbytériens et anglicans. Le préjugé populaire ne raisonne jamais.

Ils partirent donc. Leurs beaux vergers, leurs habitations françaises, leurs enclos parsemés de pommiers normands, leurs abondans pâturages, ces chaussées construites par eux pour défendre leurs champs contre les inondations, il fallut tout abandonner. Au moment même où les frégates qui emportaient ces quinze mille pauvres Français faisaient voile vers Frederic’s-Town, l’incendie de leurs fermes se projetait sur eux et rougissait les eaux de la mer. On mit le dernier sceau à cette barbarie en débarquant les exilés sur divers points de la plage, comme des animaux immondes que l’on voudrait égarer, le père loin du fils, la mère loin de l’enfant. Ils se réunirent et se retrouvèrent