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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/146

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comme ils purent ; tout était assez bon pour des catholiques et des Français. Le charmant Franklin n’éleva pas la voix ; la philanthropie des quakers ne s’indigna pas ; M. de Voltaire ne s’en inquiéta guère ; les gentilshommes de Versailles avaient bien d’autres sujets d’occupation et d’intérêt. Les pauvres héros normands, protégés par leur courage rustique et leur industrie, formèrent çà et là de petits groupes qui prospérèrent, grace à Dieu ; l’énergie morale et la persévérance religieuse sont des ressorts si puissans ! On trouve encore les débris de la colonie acadienne à Saint-Domingue, dans la Guyane française et à la Louisiane ; leurs townships sont très florissantes dans ce dernier pays. À Port-Royal même, quelques obstinés sont revenus s’établir malgré les Anglais et reconquérir les métairies de leurs ancêtres. Une vingtaine s’embarquèrent pour la France et vinrent défricher ces bruyères grises et roses dont l’aspect sauvage cache un terrain fertile, à peu de distance de Chatellerault. En 1820, cinq chefs de ces familles normandes acadiennes réclamèrent et reçurent de la chambre des députés une faible pension que l’assemblée nationale leur avait octroyée, et qui ne leur était plus servie, tant nous sommes bons patriotes ! tant notre nationalité se montre reconnaissante envers les grandes actions, surtout depuis que les parleurs nous gouvernent, depuis que les philanthropes nous enrichissent, depuis que les avocats nous reconstituent tous les dix ans !

On s’étonne sans doute que le grand Chatham ait ordonné cette infamie et que le bonhomme Franklin l’ait approuvée. Il faut bien que les incrédules se rendent aux preuves de l’histoire, preuves irréfragables. À quoi servirait l’art d’écrire et de penser, si justice ne se faisait pas de temps à autre ? M. Macaulay prouvait récemment dans son Histoire d’Angleterre depuis l’avènement de Jacques Ier, ouvrage qui a fait sensation en Angleterre, que le philanthrope William Penn trempait dans les corruptions et les intrigues de la cour vénale de Charles II. Penn s’excusait sans doute par l’intention ; l’espèce humaine est ainsi faite. L’abbé Raynal, qui a montré William Penn comme un dieu vivant, aurait trouvé M. Macaulay bien hardi de déranger son admiration. Qu’importe ? l’abbé Raynal est peu de chose ; la vérité est sacrée.

Des événemens qui laissent dans la vie des peuples des traces si brûlantes se transforment toujours en traditions et en légendes. Les Acadiens en ont une fort touchante sur leur exil, probablement vraie au fond comme toutes les légendes ; c’est cette tradition que M. Longfellow a traitée avec talent, trop de talent peut-être, dans le sens artificiel du mot. Il a trop curieusement orné ce souvenir rustique et ingénu, et ce qui arriva naguère à Mme Cottin pourrait bien le menacer. On sait qu’elle avait chargé d’ornemens agréables et convenus une tradition russe fort intéressante. M. Xavier de Maistre détruisit ces ornemens,