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« Cette lettre me fit grand plaisir, mais j’avoue que je fus un peu piqué de son fussions-nous nés sous le même pommier : je le gardai long-temps sur le cœur. »


On a vu que les premières amours littéraires de Chênedollé, sinon peut ainsi les appeler, se portaient tout entières sur des contemporains ou sur des auteurs d’hier. C’est aux contemporains, en effet, qu’il est donné surtout de provoquer ces sympathies ardentes et vives, ces prédilections passionnées que les auteurs plus anciens et révérés de plus loin sont moins propres à exciter. Toutefois il est remarquable combien chez nous, en France, ces prédilections se confinent généralement à des auteurs trop voisins et se combinent le moins possible avec l’adoration des hautes sources. Cela tient à une certaine faiblesse première des études, qui n’a point frayé de bonne heure aux jeunes esprits un accès suffisant vers les grands monumens, toujours difficiles à aborder : il en résulte un défaut sensible pour la formation des talens et pour l’agrandissement du goût. Un critique qui n’est arrivé que tard au goût sévère a dit : « Il importe assez peu par quelle porte on entre dans le royaume du grand et vrai beau, pourvu que ce soit par une porte élevée et qu’il y ait à gravir pour y atteindre. C’est ainsi qu’Homère, Sophocle, Dante ou Shakspeare y donnent entrée presque indifféremment. Mais si l’on se flatte d’y arriver par une pente trop douce et sans sortir de chez soi, comme par Racine ou tels autres auteurs de trop facile connaissance, on court risque de s’y croire toujours sans y pénétrer jamais. » Ceci s’applique à nous tous, sortis de cette éducation gallicane trop molle à la fois et trop contente d’elle-même. Et que n’aurait pas gagné dans le cas présent le, jeune talent qui nous occupe, si, pour fondement ou pour couronnement à Bernardin de Saint-Pierre et à Buffon, il avait eu, lui, capable du grandiose, sa mémoire remplie des strophes de Pindare ou des chœurs de Sophocle, comme cela est ordinaire aux bons écoliers de Christ’s Hospital ou d’Eton, et s’il avait pu s’enchanter, à travers les prairies, d’une franche idylle de Théocrite, au lieu de s’aller prendre à une traduction de Gessner !

Il était digne d’être ainsi dirigé vers les antiques sources du naturel et du vrai, celui qui, sincèrement studieux de la nature, écrira sur son calepin de poète des notes d’un pittoresque puisé dans le rural, telles que celle-ci :


« 1er mai au soir. — Il a fait aujourd’hui un vrai temps de printemps ; l’air, qui était aigre et froid, s’est singulièrement adouci et a passé au chaud. C’est ce que les gens de la campagne rendent par une expression pittoresque : ils disent, que le temps s’engraisse. Ils disent aussi que le temps est maigre quand, le vent souffle de l’est et que le hâle est grand. Le jardinier me disait aussi : « Le temps va changer, le soleil est bien plus : gras qu’hier ; il est chaud. » —