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lui, me font vivement désirer que vous consentiez à cet arrangement, qui peut le mener à la fortune. Je suis persuadé que vous en reconnoîtrez vous-même tout l’avantage.

« Je suis avec respect, Monsieur,

« Votre très humble et très obéissant serviteur,

« DE CHATEAUBRIAND. »


À M. de Chênedollé fils.

« Lyon, mercredi, 19 prairial, an XI (1803).

« Je suis toujours à Lyon, mon très cher ami, et je présume que vous êtes toujours à Paris[1] ; c’est pourquoi j’envoie cette lettre rue Neuve du Luxembourg. On la mettra à la poste en cas que vous soyez parti pour Vire.

« Je n’ai qu’un seul désir et qu’une seule pensée, c’est de vous revoir. Vous sentez qu’ici je ne puis avoir aucune donnée nouvelle ; mais il paroît par tout ce que je vois et tout ce que j’entends que le travail de la légation sera considérable, et conséquemment qu’on aura besoin d’une personne de plus. J’y perdrai mon crédit, ou cette personne sera vous. Je crois donc que vous pouvez faire vos préparatifs pour accompagner nos amis[2] cet automne. Votre père doit sentir l’importance d’une position qui peut vous mettre à lieu[3] de réparer le mal que la révolution a fait à votre fortune.

« Comment est toute la petite société ? ou comment l’avez-vous laissée en quittant Paris ? Je vois qu’on ne s’occupe plus que de guerre dans les papiers publics ; ainsi je ne vous demande point comment va la littérature. Les seconds extraits que M. Clausel m’avait promis seront restés là, et cela est tout simple ; ils ne seront bons que pour la troisième édition, qui doit être au moment de paroître. J’ai fait affaire ici avec Ballanche pour une édition in-18. Le petit Gueneau n’a pas apparemment livré son article[4]. Du reste, mon cher ami, les honneurs m’accompagnent, et nos amis communs vous auront dit ce que je leur ai mandé à cet égard. On ne se fait pas d’idée à quel point ma gloire est encore augmentée depuis l’année dernière. On me cite en chaire comme un père de l’église, et, si cela continue, je serai canonisé avant ma mort. — Mon cher ami, je ne prends pas ce voyage comme je devrois le prendre ; je n’y mets nulle ardeur, nul plaisir. Je vieillis ou peut-être je me désenchante, et depuis que j’ai recommencé les jours de voyage, dies peregrinationis, je ne fais que songer au bonheur de la retraite et du repos. Je le sens jusqu’au fond des entrailles, une chaumière et un coin de terre à labourer de mes mains, voilà après quoi je soupire, ce qui est le vœu constant de mon cœur et la seule chose stable que je trouve au fond de mes souhaits et de mes songes.

Si vous m’avez écrit à Turin ou à Milan, je trouverai vos lettres sur ma

  1. Chênedollé était revenu de Normandie à Paris ; il y passa l’hiver de 1802-1803, le printemps et une partie de l’été.
  2. Mme de Beaumont.
  3. Cette expression, mettre à lieu, pour mettre à même, revient dans ces lettres de Chateaubriand, comme dans celles de sa sœur Lucile. Ce doit être une locution de pays.
  4. Un article à propos des nouvelles éditions du Génie du Christianisme ; il se trouve dans le Mercure du 23 juillet 1803. — On voit qu’à travers tout l’auteur ne s’oublie pas. Chênedollé lui-même avait payé sa dette en répondant dans le Mercure du 26 février 1803 à une critique du Génie du Christianisme, qu’on attribuait à M. de Boufflers.