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de Sparte, méfiant, cruel, souvent absurde, ennemi de tout progrès, jaloux de ses voisins et s’isolant par système. Ici un peuple enthousiaste pour les grandes choses, entraîné quelquefois à des fautes par une généreuse ambition, plus souvent par pur amour de la gloire ; là une nation, disons mieux, une caste brutale, dominatrice, ignorante et ne connaissant d’autre droit que la force, voulant tout rapetisser au niveau de son ignorance, et n’ayant pour toute vertu qu’un patriotisme étroit ou plutôt un orgueil exclusif. Athènes nous apparaît comme une école ouverte où toutes les qualités, tous les instincts se développent et se perfectionnent pour le bonheur de l’humanité ; — Sparte, comme une caserne où l’on ne prend qu’un esprit de corps arrogant, où l’on façonne les hommes, pour ainsi dire, dans le même moule, jusqu’à les faire penser et agir par l’inspiration de cinq inquisiteurs. Qui pourrait hésiter entre ces deux gouvernemens, qui pourrait refuser ses sympathies à celui d’Athènes ?

En lisant les deux derniers volumes de l’histoire de la Grèce, je me suis rappelé un aphorisme célèbre de Montesquieu, et me suis demandé si, en Grèce, le principe de la démocratie a été en effet la vertu. — L’homme qui a préparé la grandeur d’Athènes en lui ouvrant la mer, celui qui a repoussé l’invasion persane, Thémistocle, était, pour appeler les choses par leur nom, un traître et un voleur. À Salamine, il obligea les Grecs à jouer le tout pour le tout ; mais lui, il avait pris ses mesures pour être le premier citoyen de la Grèce, si la Grèce était victorieuse, ou le premier vassal de Xercès, si ses compatriotes succombaient dans la lutte. — Pausanias, le vainqueur de Platée, s’il ne trahissait pas les Grecs dans cette bataille qu’il semble avoir gagnée malgré lui, Pausanias, peu après, se vendit aux barbares après avoir pillé et rançonné les Grecs. Démarate, roi banni de Sparte, devenu courtisan de Xercès, ne lui demandait pour conquérir la Grèce que quelques sacs d’or. Il se faisait fort de gagner les principaux citoyens de chaque ville, et il est probable que, si ses conseils eussent été suivis, les Grecs d’Europe eussent été asservis comme leurs frères de l’Asie-Mineure. En effet, la cupidité paraît avoir été le vice dominant dans toutes ces petites républiques, et partout l’homme en place se servait de son pouvoir pour faire des gains illicites. Ces hommes même qui, par leur éducation bizarre, par leur orgueil immodéré, semblent plus que les autres Grecs à l’abri de la corruption, — car quelles jouissances pouvait procurer l’argent à ceux qui mettaient toute leur vanité à se priver des douceurs du luxe ? — les farouches Spartiates, une fois hors de leur séminaire, se livraient effrontément aux exactions les plus odieuses. Aristide, Périclès, célèbres l’un et l’autre par leur désintéressement, sont des exceptions au milieu de la corruption de leur patrie, et la renommée qu’ils durent à leur probité suffirait à montrer combien était général