Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hardiment usage contre lui des forces qu’il lui a laissées. Qui sera fort, qui aura le droit de parler et d’agir, si ce n’est un président et une assemblée, élus l’un et l’autre par des millions de suffrages, marchant de concert et s’appuyant l’un sur l’autre ? Où sera l’expression de la volonté nationale, où sera le droit du commandement, si on ne les reconnaît pas à ces signes ? Nous avons plongé par deux fois notre gouvernement nouveau-né, chétif et tremblant, dans les pleines eaux populaires, au grand hasard de l’y submerger ; c’est bien le moins, puisqu’il en sort vivant, qu’il en sorte aussi invulnérable.

Un tel droit appuyé sur une telle force inquiète, il est aisé de le voir, tous les chefs les plus avisés d’une minorité chez qui l’emportement n’exclut pas toute prudence. Ils ne perdent aucun artifice pour arriver à faire douter la majorité d’elle-même. Les menaces de la rue, les clameurs sur les bancs ne vont pas tarder à s’élever. On a à ce sujet de bons précédens à suivre. Les fervens disciples du nouvel évangile vont chercher leurs modèles et leurs encouragemens dans les actes de leurs apôtres et les vies de leurs premiers saints. Ils rappellent déjà avec complaisance comment les vains efforts, les scrupules impuissans des majorités honnêtes, dans nos premières assemblées révolutionnaires, ont été comprimés par l’audace des minorités. La majorité, dit-on, était constitutionnelle aussi dans l’assemblée qui fit le 10 août. La majorité de la convention arriva pleine d’horreur contre les massacres de l’Abbaye, et ce fut elle qui créa les comités de salut public. Ce serait faire une cruelle injure à l’assemblée nouvelle que de s’arrêter un instant à de pareilles comparaisons. Quand les noms qui la composent ne seraient pas si bien connus, il est tel excès de menace qui, passant son but, donnerait du cœur aux plus timides. L’histoire profite à tout le monde, et chacun sait, de nos jours, que la faiblesse ne sauve de rien, et que, quand les échafauds sont dressés, les Vergniaud ne tardent pas à y suivre les Malesherbes. Mais, si les cœurs sont fermes, les esprits souvent sont atteints de débilités singulières. Il y a une fatale disposition à croire que le mal qui dort est apaisé, et à taxer de provocation imprudente toute précaution un peu sévère prise pour l’avenir. Je ne sais quelle mollesse de conviction nous dispose aussi à croire que le droit et la vérité se trouvent toujours entre deux parties contendantes et deux opinions opposées, quelles qu’elles soient. Toutes ces faiblesses de notre temps vont être exploitées habilement, il faut s’y attendre. Aussi la tactique la plus dangereuse à la longue, bien qu’elle ait paru ridicule de prime abord, serait celle que le grand apôtre du socialisme lui conseillait l’autre jour avec une astuce à peine déguisée. S’établir tranquillement dans l’enceinte de la constitution, y revendiquer les droits que les gouvernemens libres accordent aux oppositions régulières, établir par conséquent une discussion publique, ouverte, quotidienne, dans le sein