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nations souveraines sont, à ce point de vue, les Spartiates de la Transylvanie. Passons aux ilotes ou aux nations sujettes.


V

On appelle nations sujettes ou tolérées celles qui ne font point partie de l’union de Torda. Elles n’ont aucun droit politique, ni civil ; elles ne peuvent ni élire leurs magistrats, ni remplir des emplois publics. Ce n’est pas assez, car telle était autrefois la loi commune pour les étrangers : elles sont réduites à l’état de servage, cultivent les champs de leurs maîtres, ou exercent les métiers infimes qu’on laisse à leur industrie.

La plus importante de ces nations esclaves est la nation des Valaques ; elle forme seule plus de la moitié de la population de toute la principauté. Étrange dérision de la fortune ! ces serfs valaques[1] ou roumans descendent des légions romaines que Trajan conduisit à la conquête de la Dacie ; c’est de leurs pères que le poète disait

Tu regere imperio populos, Romane, memento.


Ils en ont conservé encore les traits, la taille majestueuse ; de vagues souvenirs de grandeur passée les laissent esclaves sans abaissement ; leur langue est un patois confus, où, au milieu de mots slaves, hongrois, italiens, éclatent tout à coup des paroles harmonieuses dont l’origine latine n’est pas équivoque. C’est surtout dans ces solennelles cérémonies, qui, ne se renouvelant qu’une fois pour chaque génération, sont moins sujettes aux révolutions du temps, la naissance, le mariage, la mort, que l’origine romaine des Valaques se manifeste avec les caractères de l’évidence. Quand passe une noce valaque, les instrumens de musique en tête du cortège ; quand la jeune fille, Flora ou Doina, conduite par ses compagnes, est reçue sur le seuil de sa nouvelle maison par les jeunes compagnons de l’époux qui lui présentent du miel et un gâteau de froment, vous croyez voir un bas-relief de Pompéia, ou entendre résonner dans l’écho lointain l’épithalame de Catulle.

Les Valaques n’ont point de territoire particulier ; ils sont dispersés sur les terres ou réunis dans des villages qui appartiennent aux seigneurs. La législation est sévère pour eux, et cette sévérité paraît assez justifiée ; les Valaques n’ont pas seulement avec les anciens Romains ces ressemblances poétiques que nous signalions tout à l’heure ; comme les compagnons de Romulus, ils se jettent souvent sur les bestiaux des bourgades voisines, ou dérobent les chevaux qu’on laisse paître devant les maisons. Les plus honnêtes ne se font pas scrupule d’user au moins de représailles. Dans chaque troupeau, il y a une population flottante

  1. Le nom de Valaques paraît venir du slave Wlach, qui veut dire italien.