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« Il m’a témoigné un grand désir de savoir de vous si, en homme du métier, vous en trouveriez la coupe assez lyrique pour le musicien. Deux circonstances me paroissent peu favorables à cette épreuve. Il ne peut pas aller chez vous ce matin, parce qu’il est obligé d’attendre chez lui de pied ferme si on viendra le chercher pour aller à Saint-Cloud : auquel cas, il seroit possible qu’il fût parti à onze heures, et possible aussi qu’on le fît attendre jusqu’à quatre. Votre santé ne vous permettra peut-être pas de vous rendre chez lui, surtout avec l’incertitude de le trouver parti, et l’inconvénient de prendre une peine inutile ; et, à cet égard, c’est surtout de votre santé qu’il faut que vous preniez conseil. Gardez-vous de la contrarier. J’ai voulu cependant vous instruire de tout ceci, afin que la marque d’estime et de confiance qu’il vous a donnée de lui à moi ne fût pas entièrement perdue.

« Mme de Caud a chargé Mme Joubert de vous faire savoir qu’au lieu de l’adresse que nous vous avons donnée de sa part, il falloit faire usage de celle qui suit : Varier, libraire, rue Derrière, à Fougères.

« Elle vous invite aussi, ainsi que Mme de Beaumont, à déguiser un peu vos écritures.

« Quand vous voudrez venir nous voir, vous savez que vous nous ferez toujours plaisir.

J. »


À M. de Chênedollé, à Vire.

« Ce lundi, 5 juillet 1803.

« Pardonnons à Michaud. Il m’a avoué que sa tête étoit obsédée et possédée par Mme de Krüdner. Il avoit samedi un rendez-vous avec elle ; il s’en souvint tellement bien, qu’il vous oublia, m’oublia et oublia le monde entier. Son excuse est dans le premier vers de l’ancienne chanson : « Pour la baronne ! » Il faut, en faveur de la poésie, agréer une excuse qui se peut chanter[1].

« Il me quitte en ce moment. Nous avons réglé, selon ses désirs, que vous

  1. M. Michaud, à la fin de l’année, fut un des premiers à annoncer le roman de Valérie dans le Mercure (n° du 10 décembre 1803). C’est sans doute aussi par lui que le Mercure eut communication des Pensées si distinguées de Mme de Krüdner, insérées précédemment le 10 vendémiaire an XI (1802). — Ces messieurs, entre eux, paraissent avoir jugé un peu sévèrement M. Michaud, que nous avons connu vieux et très spirituel, très intéressant : « Michaud, disait-on, a toujours l’air de n’être pas de son avis. Son esprit tombe en défaillance. Jamais personne n’a été moins complice de ce qu’il dit ou pense que Michaud. » M. Michaud a eu besoin d’être vieux et malingre pour paraître avoir tout son esprit. Son filet ne suffisait pas dans sa jeunesse. — Quant à Mme de Krüdner, je trouve aussi qu’on la traitait un peu légèrement : « Mme de Krüdner a de la grace et quelque chose d’asiatique (écrit Chênedollé) ; elle a du naturel dans l’exagération. L’extrême sensibilité ne va pas sans un peu d’exaltation. Le 22 au soir (22 floréal 1802), chez Mme de Beaumont, elle critiquait Werther. Elle disait qu’il n’y avait point de pensée, et qu’il n’y avait que le mérite de la passion exprimée. — Comment, lui dis-je, point de pensée ? Il n’y a point de pensées détachées, mais c’est une pensée continue. » Mme de Krüdner, à cette date, était loin encore d’avoir rompu avec les légèretés mondaines. Elle disait, par exemple : « Je n’aime point les Genevoises : elles n’ont ni les charmes de l’innocence ni les graces du péché. » Elle attachait encore bien du prix à ce dernier point.