Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/1001

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
995
SACS ET PARCHEMINS.

et ne réprima pas sans peine un mouvement de folle gaieté. Après deux heures de marche, ils aperçurent enfin, à travers le feuillage, le toit de la Trélade.

— Mademoiselle, dit Gaston, qui ne se sentait pas tourmenté du désir de présenter ses hommages à M. Levrault, voici votre demeure. Ma mission est terminée ; si vous le permettez, je n’irai pas plus loin.

Laure l’entendait autrement. La présence du marquis était nécessaire à l’effet de son entrée ; elle voulait en même temps que le jeune La Rochelandier emportât chez lui une idée un peu nette du luxe de M. Levrault.

— Mon père ne me pardonnerait pas, lui dit-elle, de vous avoir laissé partir ainsi. Peut-être vous en voudrait-il à vous-même de vous être dérobé à ses remerciemens. Je me suis reposée au château de La Rochelandier ; venez, monsieur, vous reposer au château de la Trélade. Vous n’y retrouverez pas la grâce et l’esprit de madame votre mère ; mais mon père sera très heureux de vous connaître et de recevoir de votre bouche les complimens dont Mme la marquise a bien voulu vous charger pour lui.

Gaston ne paraissait pas bien convaincu de la nécessité de complimenter le nouveau seigneur. Laure redoubla d’insistance. Ce petit débat durait encore, quand les deux chevaux s’arrêtèrent devant la grille du château.


VI.


À la façon dont M. Levrault avait insisté pour qu’il restât à la Trélade, le vicomte avait compris qu’il touchait au moment décisif. En effet, le grand industriel s’était promis, en se levant, que la journée ne s’achèverait pas sans couronner ses espérances. Il avait résolu, pour précipiter le dénoûment, d’en agir avec Montflanquin comme Mahomet avec la montagne : en d’autres termes, il se disposait à lui jeter adroitement sa fille et ses écus à la tête. Ainsi maître Gaspard en était venu à ses fins. Depuis près de deux mois, il sentait frétiller dans sa nasse les millions de M. Levrault ; mais, au lieu de les saisir avidement et de s’exposer, par trop de hâte, à les voir glisser, comme une anguille, entre ses doigts, il avait préféré attendre, pour plus de sécurité, qu’ils vinssent eux-mêmes et de leur propre mouvement se mettre dans la poêle à frire. Il allait jouir de ce spectacle, unique, je le crois, dans les annales de la pêche.

Après s’être assuré que Laure se dirigeait du côté de Clisson et tournait le dos au château de La Rochelandier, le vicomte, plein de sérénité, était allé rejoindre M. Levrault sous les arbres du parc. M. Levrault avait passé la nuit à combiner les manœuvres qui devaient avoir