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Médéah, où nous devions trouver les objets de rechange dont nous avions grand besoin, et former la cavalerie d’une petite colonne confiée à M. le colonel Molière. La vallée que nous suivions était belle et fraiche. À notre droite, à notre gauche, les collines étaient couvertes de bois. Plus nous approchions de Médéah, plus le terrain devenait accidenté. Enfin, après avoir suffisamment couru autour des collines, autour des montagnes, nous aperçûmes tout à coup Médéah perchée sur une crête qui, du côté opposé, s’en va formant un long plateau. Vous avez encore plus de deux heures à marcher avant d’arriver aux grands arbres qui ombragent la fontaine des Réguliers et la magnifique pelouse qui précède la ville ; là était établi le bivouac.

Après tant de privations, nous arrivions à Médéah pour enterrer le carnaval et le jour même du dernier bal masqué. Nous n’avions pas un habit présentable, raison de plus pour aller à ce bal, où tous les costumes du monde connu et inconnu étaient admis, excepté l’uniforme. Quelle joie ! venir de si loin, à travers tant de dangers et de fatigues, pour s’habiller en ours ou en pacha, en marquis ou en débardeur ! Quel repos ! danser toute la nuit des danses furibondes à la lueur d’une douzaine de quinquets, vénérable et primitif luminaire emprunté aux anciens salons de Mars et d’Apollon, l’antique ornement des barrières de Paris ! Nous n’avions pas le droit, pour le moment, de nous montrer trop difficiles en fait de gaieté et de bonne humeur ; nous étions sevrés depuis trop long-temps de danse et de musique pour ne pas trouver toutes ces fêtes charmantes et de bon goût. La pluie et la neige, le vent sous la tente, la boue et la poussière, nous avaient merveilleusement disposés à savourer le pain blanc, le vin frais, un bon souper, chaudement servi. Oui ; mais, au point du jour, la voix obéie, absolue, la voix du chef se fit entendre. L’ordre était formel, le départ inévitable ; il fallait partir. Le premier pas seul coûte, dit-on ; ce fut notre histoire. À peine dans la rue, chacun s’en alla gaiement reprendre son harnais de guerre. Or, voici la cause de ce prompt départ : notre grand ennemi, Abd-el-Kader, jaloux sans doute de nos plaisirs et de nos fêtes, avait fait une razzia sur le territoire des Issers, à dix lieues d’Alger, et nous nous mettions en marche, au sortir du bal, chasser ce trouble-fête.

Nous marchions vers l’est, parallèlement à la haute chaîne de montagnes qui borde la Mitidja, et dans la direction du Jurjura. Bientôt nous eûmes atteint le pays des Beni-Seleyman et des Arib. Toutes ces vallées étaient charmantes ; la rivière s’en allait doucement sur un lit rocailleux entre deux haies d’aubépines et de lauriers-roses. Çà et là de grands peupliers de Hollande jetaient au loin leurs naissans ombrages, pendant qu’à notre gauche les rochers nus s’élançaient dans les airs. Les beaux jours arrivaient ; déjà se faisaient sentir les pre-