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Six milliards de dette et 140 millions de déficit annuel, il y avait dans cette situation de quoi effrayer un homme moins résolu que Pitt. Le 3 pour cent, qui avait été à 83 pendant la guerre, était entre 56 et 57 au commencement de 1784, c’est-à-dire fort peu au-dessus du taux où il était descendu dans les momens les plus défavorables de la guerre et fort au-dessous de celui qu’il avait atteint après la signature des préliminaires de paix. Le mal paraissait sans remède ; les plus hardis reculaient devant la pensée d’augmenter encore les charges publiques. Le poids de l’impôt était déjà plus lourd pour un Anglais à cette époque qu’il ne l’était, il y a un an, pour un Français ; l’Irlande n’était pas encore réunie à la Grande-Bretagne ; l’Angleterre et l’Écosse, qui ne présentaient qu’un total de 8 millions d’ames, payaient pour les dépenses publiques le quart de ce que payait la France, en 1847, avec une population quatre fois et demie plus considérable, et elles avaient, en outre, à supporter les taxes locales qui n’ont point d’analogues en France, taxe des pauvres, dîmes de l’église, droits de barrière pour l’entretien des routes, etc. Ce n’est pas exagérer que d’évaluer à 100 millions de francs le produit de ces taxes locales pour l’Angleterre et l’Ecosse à cette époque, ce qui portait à plus de 400 millions de francs le total des impôts acquittés, ou d’environ 50 francs par tête, tandis que la France, en 1847, a payé environ 40 francs par tête, tout compris.


II.

Devant un si triste tableau, Pitt ne désespéra pas ; c’est là sa gloire. Il était jeune ; il fut confiant. Quant aux moyens qu’il prit pour sortir de là, qu’on ne s’attende à rien de miraculeux et de subit ; il n’atteignit son but qu’à force de temps, de patience et de travail, et, sans l’appui persévérant qu’il trouva dans la nation, il aurait dix fois succombé. Mais aussi quel peuple ! que de bon sens et de résolution ! On peut dire que l’opinion publique allait en quelque sorte au-devant des seuls moyens qui pussent rétablir l’ordre dans les finances, et Pitt présenta ce singulier phénomène d’un ministre qui devient de plus en plus populaire en augmentant tous les ans les impôts.

Il pensa que la première mesure à prendre était de faire la guerre à la contrebande. Il y travailla résolûment dès le début de la session de 1784, aussitôt après les élections qui lui assurèrent la majorité dans le parlement, par la présentation de trois bills. Le premier était relatif aux moyens de répression. Un acte passé quatre ans auparavant portait que les bâtimens suspects de contrebande pourraient être saisis dans un rayon de deux lieues le long de la côte ; Pitt proposa d’élargir la zone où s’exerçait le droit de saisie et de la porter à quatre lieues. Il étendit en même temps les cas de suspicion légitime ; pour un baril