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était rapporteur du projet. Dans un rapport de ce genre, il était bien difficile de se taire sur l’existence de la télégraphie électrique, dont les journaux étrangers apportaient par intervalles les plus étonnans récits. M. Pouillet en parla en effet, mais ce fut pour déclarer que la télégraphie électrique n’était qu’une utopie brillante qui ne se réaliserait jamais. Une telle assertion émise par un juge que l’on devait croire compétent semblait devoir retarder indéfiniment l’installation de la télégraphie électrique en France. Heureusement M. Arago prit en main, contre M. Pouillet, les droits de la science ; il énuméra dans une improvisation brillante les avantages de la télégraphie électrique ; il fit connaître les merveilleux resultats obtenus en Amérique par les instrumens de M. Morse ; il prouva qu’il était facile de créer en France des établissemens analogues. Dès ce jour, les incertitudes, les résistances de l’administration durent cesser, et peu de temps après le gouvernement envoya en Angleterre M. Foy, administrateur en chef des lignes télégraphiques, avec mission d’y étudier les nouveaux appareils électriques.

À la suite des rapports de M. Foy, le gouvernement s’entendit avec M. Westheaone pour l’établissement en France d’une ligne de télégraphie électrique. On stipula le prix qui serait accordé à l’inventeur pour l’emploi de ses procédés et la fourniture des instrumens. M. Westheaone vint à Paris ; mais, au moment de prendre les arrangemens définitifs, des difficultés regrettables s’élevèrent inopinément. M. Arago et les savans français prétendaient que les lignes établies en Angleterre n’embrassaient pas une étendue suffisante pour décider a priori que les communications entre deux villes très éloignées, telles que Paris et le Hâvre, Paris et Lyon, pussent se faire sans aucune station intermédiaire ; on exigeait donc des expériences spéciales. M. Westheaone assurait, au contraire, que tout essai de ce genre était superflu, parce qu’il avait théoriquement et expérimentalement prouvé que le télégraphe électrique peut transmettre une dépêche à cent quarante lieues de distance sans aucune station intermédiaire. Les doutes de nos savans blessèrent un inventeur que huit années de travaux et de triomphes incontestés semblaient devoir affranchir d’un pareil contrôle. Ces premières difficultés en amenèrent d’autres ; bref, le conflit dégénéra en rupture complète. La commission instituée par le gouvernement pour l’établissement d’une ligne télégraphique de Paris à Rouen crut pouvoir se passer des lumières de M. Westheaone, et M. Westheaone quitta Paris. Pour l’avenir de nos établissemens de télégraphie électrique, il ne pouvait rien arriver de plus fâcheux. On va voir, en effet, à quels regrettables erremens s’est laissé entraîner la commission livrée à ses seules lumières et privée du concours et de l’expérience du savant illustre qui a doté l’Angleterre de son nouveau système de télégraphie.

Il y avait bien des manières d’établir en France la télégraphie électrique. On pouvait adopter le système américain de M. Morse, dont les résultats pratiques attestaient tous les jours la parfaite convenance. On pouvait employer les cadrans de M. Westheaone, qui nous paraissent en ce moment le dernier mot de l’art. On pouvait prendre, en les modifiant, les combinaisons mécaniques adoptées par M. Steinheil ou par M. Jacobi dans les appareils construits par ces savans en Allemagne et en Russie. La commission repoussa tout cela. M. Foy, qui