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ment M. de Montalembert, et nous avons vu le moment où M. Arnaud de l’Ariège allait dresser le formulaire de sa religion et le faire signer à M. de Montalembert. M. de Montalembert s’en est tiré fort spirituellement ; mais la question du formulaire démocratique n’en a pas moins été posée, et nous demandons à dire quelque chose sur ce nouveau serment du test que M. Arnaud de l’Ariège serait tenté de faire prêter à ses collègues.

Sous la restauration, la légitimité était le principe du gouvernement. Louis XVIII et Charles X étaient rois par la grace de Dieu. Cela n’empêchait pas qu’on ne discutât le principe de la légitimité et qu’on ne le mît en doute. La controverse sur ce point était grave et modérée, mais elle était libre ; aujourd’hui, la souveraineté du peuple est le principe du gouvernement, mais ce principe peut aussi être discuté, pourvu qu’il le soit avec gravité, pourvu qu’on s’adresse à la raison publique et non aux passions populaires. Quant à nous, vieux libéraux, nous avons toujours cru que la souveraineté absolue et complète n’était nulle part sur la terre. Qui a droit, en effet, d’être souverain, ce n’est celui qui a toujours raison, qui est toujours juste et toujours vrai ? Or, qui donc ici-bas a toujours la raison, la justice et la vérité ? Sont-ce, les rois par la grace de Dieu ? Est-ce le peuple ? Assurément non. La royauté et le suffrage universel, qui sont, l’une l’expression visible du droit divin, et l’autre l’expression de la souveraineté populaire, ne sont que des formes inventées par l’homme pour trouver cette raison, cette justice et cette vérité, qui sont ses seules maîtresses légitimes sur la terre, parce qu’elles sont elles-mêmes l’image du maître et du père que nous avons dans les cieux. La royauté et le suffrage universel ne rencontrent pas toujours la raison, la justice et la vérité ; mais ils les rencontrent quelquefois. Il en est de même des autres formes de gouvernement, l’aristocratie, l’oligarchie et même la démocratie censitaire. Elles ne sont ni toujours bonnes, ni toujours mauvaises. La meilleure forme de gouvernement n’est donc pas celle qui a la prétention de procéder d’un principe absolu, soit la souveraineté populaire, soit la légitimité. La meilleure forme de gouvernement est celle qui offre le plus de chances de rencontrer souvent ce qui est juste et ce qui est raisonnable, celle où les erreurs sont difficiles le commettre et où les moyens de réparer les erreurs commises sont fréquens et faciles. Ces conditions-là se trouvent-elles dans le suffrage universel ? Les erreurs y sont-elles aisées ? Les repentirs y sont plus commodes et prompts ? La volonté qu’il manifeste a-t-elle chance d’être ordinairement raisonnable et juste ? Voilà des questions qui s’adressaient à la monarchie absolue, et qui peuvent aussi s’adresser sans impiété au suffrage universel.

Avec cette prétention de faire de la souveraineté du peuple un dogme religieux, l’assemblée législative risquait de se transformer en concile, comme l’a spirituellement remarqué M. de Tocqueville. M. de Tocqueville a donc fort bien fait de rendre à la question romaine sa véritable signification. Il ne s’agit pas, en effet, de savoir si, en faisant l’expédition italienne, le gouvernement français a fait un acte d’hérésie démocratique ; il s’agit de savoir si nous pouvions laisser régler sans nous le destin de l’Italie ; il s’agit de savoir si, à Rome, c’est contre les Romains que nous avons combattu : voilà les deux points qui se rapportent au passé, et que M. de Tocqueville a traités avec une grande supériorité de raison : il s’agit pour l’avenir de savoir quelles institutions auront les États Ro-