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Ils faisaient bon marché du dégrèvement du sel destiné à la consommation des hommes. Ce dégrèvement, insensible et limité, ne valait pas, même à leurs yeux, le sacrifice d’un de nos plus beaux revenus ; mais le sel, mis à la portée de l’agriculture, allait faire des prodiges, et le progrès de la consommation enrichirait le pays sans appauvrir le trésor. La réduction a été prononcée. Qu’avons-nous vu ? Les approvisionnemens retardés dans l’attente de cette réduction ont profité aux premiers mois de l’expérience et ont simulé un accroissement de consommation. On célébrait déjà le succès de cette réforme financière ; mais le temps, en marchant, a dissipé ces illusions : de mois en mois, le déficit s’est accru ; il s’est rapproché du chiffre correspondant à la réduction de la taxe[1]. M. le ministre des finances se résigne, et il n’évalue qu’à 27 millions pour 1850 le produit d’un impôt qui a donné 70 millions en 1847. Un sacrifice annuel de 43 millions a été consacré à une expérience manquée. — L’expérience n’est pas finie. Dira-t-on, attendez encore. — L’Angleterre attend depuis vingt-cinq ans, et personne n’y croit plus guère aux heureux effets agricoles de l’abolition de cet impôt. Je consultais un jour, à ce sujet, un homme d’état illustre qui consacre aux progrès de l’agriculture les intervalles de sa glorieuse administration. — Oh ! me répondit-il avec une spirituelle ironie, il n’y a pas l’ombre d’un doute pour les personnes engagées dans le commerce du sel.

Une déception pareille nous attend, selon toute apparence, dans nos autres essais, et le remaniement de nos impôts excitera plus de mur ures qu’il n’est destiné à en apaiser. Ce qui se supporte par l’habitude révolte par la nouveauté. Croit-on que les nouveaux droits d’enregistrement semblent plus légers que l’ancienne taxe des lettres, et que l’impôt sur le revenu, soit plus populaire que l’impôt du sel ? On cède aux clameurs du quelques-uns contre les rigueurs de l’exercice : que répondra-t-on aux plaintes de tous contre les enquêtes sur les fortunes ? Nous avons vu, dans des jours d’émeute, brûler quelques bureaux d’octroi : en 1816, le parlement d’Angleterre fit livrer aux flammes tous les papiers de l’income-tax. Ah ! si les choses étaient entières, la question du remplacement serait-elle même posée ? Et encore aujourd’hui,

  1. Tableau mois par mois de la diminution du produit de l’impôt du sel en 1849 comparativement à 1848 :
    Janvier Diminution 187,000 fr.
    Février « 1,877,000
    Mars « 1,493,000
    Avril « 1,497,000
    Mai « 3,171,000
    Juin « 3,161,000
    Juillet « 3,148,000