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arrive vite à ce peu dont parle Adam Smith, et s’il sait le bien employer, cela tient surtout à ce qu’il est laborieux, intelligent et sobre : il est tout cela, parce qu’il est moral et instruit. Religion, savoir et travail, c’est l’action combinée de ces trois grandes causes qui explique, à nos yeux, l’extraordinaire prospérité des États-Unis.

On aura peut-être remarqué que, dans tout le cours des observations qui précèdent, nous n’avons pas fait une seule fois allusion aux partis politiques qui divisent le peuple américain. C’est que les États-Unis présentent ce phénomène peut-être unique d’un pays où la politique et les hommes d’état n’aient aucune action appréciable sur la prospérité général du peuple. La nation américaine se développe et grandit en vertu de causes trop puissantes, pour qu’aucune action humaine puisse en accélérer ou en retarder sensiblement l’effet ; ces causes subsistent et agissent, quelque soit le parti qui prédomine, quels que soient les hommes d’état qui gouvernent. Un seul des grands intérêts du pays reçoit le contre-coup des vicissitudes politiques : selon que le parti qui l’emporte est favorable ou hostile au système protecteur, le tarif des douanes américaines est modifié d’une façon utile ou désavantageuse à l’industrie nationale. Nous ne connaissons pas d’autre exception.

C’est là l’effet inévitable de la décentralisation absolue, qui est le fond même des institutions américaines ; mais, si les hommes d’état de l’Union ont à l’intérieur une tâche très aisée, la situation exceptionnelle de leur pays diminue singulièrement pour eux les difficultés de la politique extérieure. On a remarqué depuis long-temps que la position insulaire de la Grande-Bretagne donnait une grande indépendance à sa politique, et cependant des milliers de liens rattachent les intérêts de l’Angleterre à ceux du continent. Les États-Unis, on peut le dire, sont aussi sans voisins ; ils ont pour boulevard non plus un détroit, mais l’Océan Atlantique ; ils n’ont aucun intérêt, même éloigné, d’influence ou de commerce qui puisse recevoir la moindre atteinte dans les révolutions du vieux monde. Là où les hommes d’état européens ont à peser mille considérations, et à tenir compte des intérêts plus compliqués, le gouvernement des États-Unis a une entière liberté d’action : il peut s’abandonner à toutes les forfanteries ou à butes les susceptibilités de l’amour-propre national ; il peut même faire des fautes sans qu’elles aient de conséquences graves. Si nous avons occasion d’esquisser la situation des partis politiques aux États-Unis, il nous sera facile de montrer que cette liberté d’action du gouvernement américain, en l’affranchissant de presque toute la responsabilité qui pèse sur les gouvernemens d’Europe, réduit dans la même proportion l’importance de son rôle dans le développement de la grandeur américaine.


CUCHEVAL-CLARIGNY.