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le patron, l’attrapant par les oreilles, le ramena vivement sur le pont, et l’envoya, pour se sécher, carguer les voiles qui battaient le long des mâts.

Tel fut le début d’Ismaël dans la carrière de marin. Avait-il gagné au change ? Je ne sais ; toujours est-il qu’il ne se découragea point pour si peu. La Providence, qui prend en pitié les enfans, a donné aux mousses la faculté d’oublier bien vite les corrections qu’ils reçoivent ; ils les acceptent sans se plaindre, comme ils se soumettent aux alternatives d’orage et de beau temps. Tout en se frottant l’épaule, Ismaël se sentait moins humilié d’avoir été battu par un homme auquel obéissaient de grands et robustes matelots, qu’il ne l’était auparavant, quand ses vieux maîtres le grondaient sans raison. Et puis la vie errante sur le Nil lui plaisait ; orphelin et délaissé, il trouvait dans sa barque une patrie, dans ses compagnons une famille. En dépit des inconvéniens du métier, il navigua.

Un jour, la canja qu’il montait prit terre à Fouah, ville fort ancienne, située sur la rive droite du Nil, à peu près en face du point où débouche le canal Mahmoudiéh, qui vient d’Alexandrie. Les voyageurs s’y arrêtent pour rechercher dans la campagne environnante l’emplacement du port de Naucratis, « seule ville, dit Hérodote, où, du temps des Pharaons, les vaisseaux grecs pouvaient aborder, » et pour visiter ce qui reste des ruines de Saïs. Les mariniers qui font le commerce entre Rosette et le Caire y abordent aussi, parce que ses bazars sont abondamment pourvus de volailles et de fruits de toute espèce ; ils y trouvent en outre à acheter les cordages dont ils ont besoin pour leurs bateaux. Fouah est une des villes de la Basse-Égypte les plus florissantes. À certaines époques de l’année, à l’automne surtout, des centaines de barques encombrent les quais. À peine distingue-t-on, à travers les antennes et les mâts, le cours majestueux du Nil, si large en cet endroit qu’on le prendrait pour un lac, et tout parsemé d’îles riantes qui sortent du milieu des grèves comme des oasis. Une foule de minarets s’élancent au-dessus des coupoles et des maisons à toits plats ; les uns sont anguleux et pointus comme des flèches romanes, les autres, arrondis en tourelles, se terminent par un bourrelet en forme de turban. Des bananiers et des figuiers, qui laissent pendre sur les murs leurs larges feuilles et leurs branches épaisses, font ressortir encore la couleur éclatante des édifices rangés le long du fleuve. En somme, c’est une ville d’un effet pittoresque, tout orientale, digne de se mirer dans les flots du Nil.

Au moment où la barque d’Ismaël relâchait à Fouah, une brume assez intense voilait l’horizon. Le soleil se levait à peine ; il s’en fallait d’une heure que la brise du nord, sur laquelle les marins comptent toujours pour remonter le Nil, ne dissipât ces vapeurs. En attendant