plus belle, que la politique révolutionnaire trouve en ce moment un appui dans le cabinet qui semblait le mieux placé pour donner de bons exemples ? Que l’on nous permette donc cette supposition : la Russie cesse de menacer l’Orient, et, pesant d’un poids moins lourd sur les peuples du Danube, elle marche d’accord avec les intérêts conservateurs de l’Autriche et de la Turquie. Dès-lors qu’arrive-t-il ? Non-seulement les révolutions ne sont plus possibles dans ces deux empires, mais l’Europe occidentale, rassurée sur le dehors, maîtresse chez elle, travaille librement à sortir du chaos où elle se débat. Qui doute à cet égard, malgré de récens déboires, qu’elle ne soit en voie de progrès ? Si l’Europe occidentale n’est pas obligée d’abandonner sa tâche au dedans pour faire face à des embarras extérieurs, combien sa rude mission n’est-elle pas facilitée ! Certes la paix ne dépend pas exclusivement de la Russie ; toutefois il dépend de chacun des cabinets de l’Europe de concourir à éloigner les périls sociaux qui pourraient surgir de la guerre, et parmi ces cabinets celui de Russie est l’un de ceux qui sont le plus en position de la prévenir.
Ne serait-ce point un beau rêve de penser que la Russie se séparera ainsi de ses plus vieilles et de ses plus intimes traditions ? L’avenir seul pourra nous l’apprendre ; mais du moins, en ce moment, l’intérêt même de la Russie nous rassure : elle a besoin pour sa tranquillité d’une Europe calme et pacifique. Tout ainsi la détourne de la pensée des conquêtes. Ajoutons que, sans cesser d’être fier en face de l’Europe, son langage contient dès à présent de belles promesses. Si, d’un côté, le patriotisme nous commande de n’accueillir ces promesses que sous toutes réserves, il nous défend aussi de les méconnaître. Voici donc la conclusion que nous voulons tirer de l’état intérieur et de l’attitude présente du gouvernement russe. La prétention de fournir aux vieilles sociétés de l’Occident des notions infaillibles sur les principes organiques des sociétés, comme l’entendent les panslavistes officiels n’est qu’une séduisante utopie ; une sorte d’hallucination mystique. Le czarisme, en exagérant l’autorité politique et religieuse, a suscité dans le sein même de l’empire, non-seulement l’idée, constitutionnelle, qui est bonne en soi, mais l’idée radicale, non-seulement l’idée de la liberté des consciences, mais l’idée du mysticisme philosophique et communiste de certaines écoles allemandes. Que si le gouvernement russe, plus modeste et plus pratique que ses panégyristes ambitionne simplement de rivaliser avec les autres cabinets dans la pacification de l’Europe, il le peut avec avantage pour l’Occident et pour lui-même ; il semble même indiquer qu’il le veut ; et ; dans l’intérêt de la paix du monde, nous nous réjouirions de voir cette curieuse métamorphose de la politique moscovite.
H. DESPREZ.