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Au moment même où je repassais dans ma mémoire les sublimes paroles du guerz breton, la voix de Jean-Marie, qui nous appelait, me tira de ma rêverie. Il nous montrait à la gauche du chemin un amoncellement de terres bouleversées : c’était le mont Jallu.

Lorsque nous y arrivâmes, les ouvriers travaillaient aux fouilles sous la direction d’un contre-maître ; mais le magnétiseur et son sujet étaient absens. L’ancienne motte d’Ygé avait été découpée par de profondes tranchées, dont les déblais étaient rejetés à droite et à gauche, et percée de puits destinés à l’épuisement des eaux ; elle semblait avoir littéralement changé de place. La foi, comme le dit mon compagnon, avait transporté la montagne. Ces amoncellemens de terre jaunâtre et stérile, sur lesquels s’agitaient des travailleurs empressés, offraient un singulier spectacle au milieu de champs fertiles et alors déserts, où la nature préparait en silence ses riches moissons. C’était là comme dans la vie : l’homme abandonnait les biens réels pour courir après des songes.

Nous interrogeâmes vainement le contre-maître sur la direction des travaux et sur les espérances des nouveaux chercheurs de trésors ; soit ignorance, soit discrétion, il ne sut rien nous apprendre. Maître Jean nous conseilla de continuer jusqu’à l’auberge de Saint-Cosme, quartier-général des entrepreneurs, où l’on pourrait, selon toute apparence, nous renseigner plus exactement. Nous nous décidâmes à y aller dîner, et, après avoir pris congé du taupier, qui devait quitter là le grand chemin pour s’engager dans la traverse, nous nous remîmes en selle et nous gagnâmes le bourg au galop.


II. – LE ROULEUR.

L’arrivée de deux voyageurs bourgeois eût produit dans beaucoup de villages une certaine sensation ; mais les habitans de Saint-Cosme étaient blasés sur de pareils événemens. Le bruit de nos chevaux n’attira même pas l’aubergiste sur le seuil ; il fallut l’appeler. Il vint recevoir la bride de nos montures avec une dignité indifférente. Mon compagnon, qui voulait nous relever dans son opinion, passa à la cuisine, où il fit main-basse sur tout ce qu’il y avait de présentable dans le garde-manger. L’effet de réaction ne se fit pas attendre. Notre hôte, convaincu que des gens qui dînaient si bien devaient avoir droit à ses respects, mit le bonnet à la main et nous fit entrer dans un salon où le couvert était mis. Comme les préparatifs culinaires demandaient un peu de temps, il voulut bien, pour adoucir les ennuis de l’attente, nous accorder les agrémens de sa conversation. Nous apprîmes par lui que les directeurs des fouilles du mont Jallu devaient arriver dans quelques jours. Il ajouta que, par malheur, il n’y avait point de dames,