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pas. C’est ce qui fait qu’on est si impitoyable pour les enlèvemens, et on a raison ; il y a tel amour qui est la vie de la société, et tel autre qui est sa mort. C’est bien le moins que nous combattions ce qui nous tue. »

Une heure après ce long discours, la duchesse de Tessé traitait Vibraye avec tant de hauteur, de colère et de dureté, que le pauvre Vendéen demeurait tout suffoqué, sentant la rougeur à ses joues, les larmes dans ses yeux, et ne sachant ce que voulait son cœur. Il laissa parler Élisabeth sans trouver un mot à lui répondre. La tendresse et la fierté se livraient en lui un de ces rudes combats qui sont le désespoir des amoureux. On lui reprochait des choses dont la seule pensée l’aurait fait mourir de honte. Il était coupable, lui disait-on, d’avoir voulu compromettre, par ses airs emportés et impérieux, celle qu’il adorait. Lorsque la duchesse se fut retirée, il laissa tomber sa tête entre ses mains, et pleura long-temps. Toute la journée, il resta enfermé dans sa chambre ; puis, quand vint l’heure du dîner, il descendit en chancelant dans le parc sans être observé, gagna une porte dérobée, et se trouva en plein champ. À la nuit tombante, il frappait à la porte de son château, qui était à deux lieues seulement de Saint-Nazaire. Un vieux serviteur, qui le croyait mort, le recevait entre ses bras avec force exclamations. Le blessé de la Pénissière était épuisé par cette marche imprudente. Sa blessure était rouverte. On le porta dans la chambre de sa mère. Après une longue défaillance, il revint à lui, et pour la première fois ressentit une douleur que je ne souhaite à personne. « Ah ! disait-il, pourquoi les balles ne m’ont-elles pas frappé au cœur ! »


VII

Il était dans la chambre où sa mère était morte, couché dans le lit où il avait vu pour la dernière fois cette chère figure. Tous les objets dont il était entouré lui rappelaient des souvenirs qui lui faisaient sentir cruellement les souffrances délaissées de son corps et la douleur méconnue de son ame. Il était dans ce misérable état où l’on se fait pitié à soi-même, où l’on se sépare en deux moitiés, dont l’une est sans vie et dont l’autre répand des larmes glacées. Le temps s’écoulait, et il ne se demandait point ce que lui amèneraient les heures. Il souffrait de la nuit sans souhaiter le jour. Le jour lui enlèverait-il ce linceul sous lequel l’ensevelissait la solitude ? Que dirai-je ? La tristesse de ce malheureux, qui avait fait, comme tout homme généreux et passionné, une religion de son amour, était si profonde, qu’il faut pour la peindre avoir recours au cri de l’agonie divine : — Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné !

Ce cri était dans l’ame, sinon sur les lèvres de Robert, quand tout