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LA BAVOLETTE.

réputation avant toutes choses, et si quelqu’un te les voulait ravir, ou si la misère t’exposait à les perdre, viens me trouver. Tu auras en moi un défenseur et un ami. Je suis le duc d’Enghien. Souviens-toi de mon nom. Adieu, Claudine.

Après le départ du prince, la jeune fille, assise au bord de la route, réfléchissait aux paroles qu’elle venait d’entendre. Son aventure lui paraissait ressembler à ces contes où l’on voit souvent des génies revêtir des formes humaines pour donner aux enfans des leçons de morale, ou pour exercer une heureuse influence sur leur destinée. Avec le goût du premier âge pour le merveilleux, Claudine se demandait si cette altesse au galop, répandant des avis et des louis, n’était pas un personnage surnaturel. Elle eut soin de se bien graver dans la mémoire le nom du prince, et se rendit à la maison dans le dessein de consulter sa mère. Maître Simon, dont la colère n’était point passée, commença par interroger sa fille avant de la battre. Lorsqu’il apprit la conclusion de l’histoire du louis d’or et le nom du seigneur, il déposa le bâton dont il s’était armé, car le duc d’Enghien ne lui était point inconnu, et l’on s’entretenait alors jusque dans les cabarets de la victoire de Rocroy. Simon se mit donc à rêver aux moyens de tirer parti de la protection d’un prince si puissant. De son côté, dame Simonne bâtissait des châteaux en Espagne, et, dans l’instant même où ces châteaux imaginaires s’élevaient un peu bien haut, Claudine se promettait au fond de son cœur de n’avoir recours au prince que dans la dernière détresse, ainsi qu’il le lui avait recommandé.

A compter de ce jour, maître Simon traita sa fille avec plus de douceur et lui témoigna le respect des âmes basses pour les gens de qui elles peuvent espérer quelque avantage. Du reste, il ne fitqu’ivrogner, comme auparavant, et se vanter des bontés et de l’amitié extrême dont le premier prince du sang honorait sa personne.

Les choses en étaient à ce point, lorsqu’un matin un carrosse s’arrêta devant la chétive masure. On vit descendre de ce carrosse une demoiselle que dame Simonne prit tout d’abord pour une princesse, et à laquelle la pauvre paysanne répondit si sottement par excès d’émotion, que la demoiselle en éclata de rire.

— Ne vous troublez point, bonne femme, dit l’inconnue, et ne vous fatiguez pas à me faire tant de révérences. Je vous suis envoyée par Mme de Boutteville. Vous avez une petite fille de qui son altesse le duc d’Enghien a remarqué la gentillesse. Ma maîtresse et ses enfans ont l’envie de voir votre Claudine. Je viens vous prier de me la confier pour un jour seulement. Je l’emmènerai dans ce carrosse et je vous la rendrai ce soir quand ces dames auront passé leur fantaisie. Elle se divertira en compagnie d’autres enfans, et vous rapportera sans doute des nippes ou de l’argent. Mettez-lui donc sa robe des dimanches, et