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nouvelles, en se laissant envahir par le radicalisme, sont sorties de notre alliance ; de l’autre, les anciennes aristocraties suisses ont été si complètement abattues et dissoutes, que leur reconstruction a cessé de devenir possible. Chacune des deux puissances a vu ainsi se dissoudre entre ses mains l’élément auquel elle avait associé son action : la France, l’élément libéral modéré ; l’Autriche, l’élément aristocratique. Et sur les débris communs du libéralisme modéré et de l’aristocratie, elles ont vu s’établir un radicalisme provocateur et propagandiste au dehors, destructeur au dedans, dont la contagion atteint à la fois leurs frontières, et dont le but avoué tend à une centralisation incompatible avec la conservation de la neutralité suisse. Or, dans le système de paix qui prévaut aujourd’hui dans les cours de Paris et de Vienne, le maintien de cette neutralité est devenu en Suisse l’intérêt dominant pour l’une comme pour l’autre de ces puissances. La France et l’Autriche se sentent de la sorte reportées l’une vers l’autre en Suisse plus par les changemens qui s’y sont opérés que par leur volonté propre. Si, malgré toute leur puissance, elles n’ont pu empêcher un principe ennemi d’y détruire l’élément que chacune d’elles avait pris sous sa protection, c’est qu’elles s’annulaient réciproquement[1]. »

Pour que le rapprochement indiqué dans le document qu’on vient de lire pût obtenir le résultat désiré, il fallait convaincre la Suisse radicale de la réalité de cette entente entre la France et l’Autriche. Non-seulement cette tâche était difficile à remplir à cause des souvenirs anciens et des passions actuelles d’une partie du peuple suisse, mais l’événement récent de Cracovie en rendait la manifestation assez délicate. En outre, le gouvernement français, quand il s’était proposé de marcher aussi d’accord que possible avec l’Autriche dans les affaires de Suisse, était loin d’avoir consenti à se mettre à sa remorque. Malheureusement, l’enchaînement des circonstances et les conséquences des résolutions antérieurement prises ne laissaient pas non plus à cette époque à l’Autriche une entière liberté d’action.

Au moment où le nouvel ambassadeur de France arriva en Suisse, le parti radical était sur le point de se rendre maître de la confédération par une suite de révolutions intérieures qu’il avait successivement suscitées dans les cantons. Cinq années lui avaient suffi pour étendre sa domination sur le Tessin et les Grisons, sur Zurich, Berne, Vaud et Genève. Encouragé par ses rapides succès et le peu de résistance que lui avait partout opposé le parti modéré, il réunissait alors toutes ses forces pour emporter par la contrainte le petit nombre de cantons qui avaient résisté à ses attaques antérieures. Après avoir échoué par les expéditions violentes des corps francs, il attendait que le vote de

  1. Instructions remises à M. le comte de Bois-le-Comte, février 1847.