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produits. Il a fait insérer dans les contrats des conditions désastreuses pour les entrepreneurs ; il a provoqué l’agiotage en exagérant aux yeux du public la valeur des concessions offertes par l’état ; il a bouleversé les fortunes privées, et par là il a exposé le trésor lui-même, dont le crédit se mesure toujours à la prospérité commune.

Voilà ce qu’on gagne à disputer aux compagnies industrielles le juste prix de leur concours. La république, nous l’espérons, sera plus sage à cet égard que la monarchie : L’occasion d’ailleurs serait mal choisie pour parler des exigences de l’industrie privée. Ces exigences, où sont-elles ? Quels sont les capitaux sérieux qui, dans l’état actuel du crédit, pourraient se charger de terminer la ligne de paris à Avignon, sans réclamer avant toutes choses l’abandon des taux faits, une longue durée de jouissance et une garantie d’intérêt ? L’abandon des travaux faits n’est pas une concession, c’est une nécessité. Le gouvernement s’était trompé dans l’origine sur l’évaluation des dépenses. Il avait estimé le prix moyen du kilomètre à 350 000 francs ; le prix réel est de 560 000. Il résulte aujourd’hui de cette erreur qu’après avoir consommé 154 millions, on se trouve exactement, pour la dépense, dans la même situation qu’en 1845, lorsqu’on adjugeait la totalité de la ligne sur le pied de 350 000 francs par kilomètre. L’abandon des travaux faits, moyennant l’engagement de terminer la ligne, n’est donc pas une faveur ; c’est une condition nécessaire du contrat. Quant au bail de quatre-vingt-dix-neuf ans, c’est autre chose. Voilà une concession lourde en effet, et qui nous ramène, après quinze ou vingt ans d’expérience, à nos premiers essais de chemins de fer ; mais à qui la faute ? La question n’est pas de savoir si cette concession est pénible pour le trésor ; la question est de savoir s’il peut se dispenser de la faire. Or, lorsque la rente est au-dessous du pair, lorsque les capitaux, pour mille raisons, tremblent de se remettre dans l’industrie ; trouverez-vous des compagnies sérieuses qui acceptent de l’état les conditions que faisait la monarchie dans ses dernières années ? En 1845, les soumissionnaires du chemin de Lyon ne demandaient à l’état qu’un bail de quarante et un ans ; en 1850, on lui demande quatre-vingt-dix-neuf ans ! Toute proportion gardée, la différence nous semble raisonnable ; et nous pensons qu’il faut payer un peu l’honneur et le plaisir de vivre ; en république. À notre avis, une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans est une concession inévitable ; on ne trouvera pas de capitaux à plus bas prix. Quant à la garantie d’intérêt, le plus simple raisonnement suffit pour démontrer que cette clause ne peut être attaquée par ceux qui croient aux bénéfices exagérés de l’entreprise. Si l’affaire est excellente pour la compagnie concessionnaire, il est évident que la garantie d’intérêt ne coûtera rien au trésor. Le trésor ne pourrait perdre que si les chances de l’exploitation devenaient mauvaises. Or, pour être rassuré sur ce point, on peut relire les évaluations présentées en 1845 par M. Dufaure. On y verra que selon toutes probabilités, le produit net du chemin ne peut descendre au-dessous, de 13 millions, c’est-à-dire au-dessous du chiffre à partir duquel la garantie d’intérêt serait exigible. Il ne faut donc pas trop s’inquiéter des mauvaises chances que peut courir la compagnie concessionnaire, et il ne faut pas non plus trop s’alarmer des bénéfices qu’elle peut faire, puisque l’état partage avec elle au-dessus de 3 pour 100, et puisqu’il a la faculté de racheter la ligne entière après quinze ans d’exploitation