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mait le seuil du vestibule, quand un dernier mouvement de prudence lui fit retourner les yeux vers le par de mur isolé au pied duquel sa chasse aux lavandières s’était terminée d’une façon si énigmatique. Hervé avait choisi lui-même le soldat qui venait de remplacer la première sentinelle à ce poste important : c’était un jeune grenadier nommé Robert, dont le courage et l’intelligence lui étaient particulièrement connus. Il ne l’aperçut point ; mais, à la place où ses yeux le cherchaient, il vit sortir des décombres un linge blanc qu’on semblait agiter afin d’attirer son attention.

Hervé se hâta de redescendre le perron et se dirigea rapidement, quoique avec précaution, vers la poterne. Lorsqu’il n’en fut plus éloigné que d’une dizaine de pas, il put distinguer la sentinelle, qui, l’ayant reconnu lui-même, ôtait le mouchoir qu’elle avait placé au bout de sa baïonnette et se contentait de lui faire des signes avec la main, comme pour l’engager à redoubler d’activité et de mystère. Deux secondes plus tard, Hervé était près du mur, face à face avec le soldat.

— Eh bien ! Robert, dit-il à voix basse après s’être convaincu que tout était solitaire autour d’eux, qu’y a-t-il donc ?

— Il y a, commandant, répondit le soldat articulant ses paroles du bout des lèvres avec un effroi mêlé de gaieté, il y a qu’il dépend de nous de prendre la pie sur le nid, et le roi sur son trône, et les courtisans, et toute la vieille ci-devant boutique. On voulait vous en faire avaler gros comme une cathédrale et long comme d’ici en Chine. Vous êtes trahi.

— Trahi ? Comment ! par qui ? Vite, parle ! s’écria Hervé.

— Plus bas, commandant, plus bas ! Voici l’histoire : je me promenais paisiblement l’œil braqué, suivant l’ordre, sur le bois de sapins ; mais ouiche ! ce n’est pas là qu’est le nœud. Tout à coup, qu’est-ce que j’entends derrière moi ou au-dessous de moi ? je ne savais pas trop… un grand bruit de voix, comme qui dirait des clabauderies d’avocats. Moi qui aime naturellement à m’instruire, je me tourne, je me retourne, et finalement voilà que je mets le nez sur l’enclouure, et que…

Le soldat s’interrompit, et demeura la bouche béante en faisant un geste de suprême terreur ; puis Hervé vit le malheureux jeune homme bondir en arrière et s’affaisser lourdement sur le sol. En même temps, il avait entendu dans son oreille l’explosion d’une arme à feu, et, frappé à la tête d’une rude commotion, il tombait lui-même privé de tout sentiment, à quelques pas du grenadier.

Alors un homme d’une taille athlétique, celui qui venait de commettre cette double violence avec un si cruel succès, quitta le pied du mur, d’où il paraissait être sorti, et jeta un coup d’œil curieux sur le château. Pendant ce temps, un individu d’une apparence plus frêle