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ne sont que des conséquences nécessaires d’une abstraction ; il s’attaque encore à une liberté de tout autre origine : je veux parler de ce mouvement irrésistible qui est le principe même de la vie, et qui travaille constamment à faire régner Dieu de plus en plus, en arrachant de plus en plus les activités humaines au contrôle des volontés humaines et à la tyrannie des systèmes humains ; je veux parler de ce laissez-faire particulier qui sans cesse cherche à supprimer la contrainte partout où elle n’est plus nécessaire, et à faire en sorte que les facultés, les forces qui sont en chacun et qui n’ont de puissance que dans leur direction naturelle puissent chercher elles-mêmes leur direction, quand elles sont capables de la concilier avec les autres lois vitales de la société. Dans quelle mesure M. Carlyle prétend-il comprimer et régenter ce libre jeu des élémens sociaux ? il ne nous l’apprend pas positivement. Il s’y résigne plus ou moins, cela est vrai ; il veut bien admettre que les parlemens peuvent être bons à quelque chose ; il consent même à laisser jusqu’à un certain point l’industrie sous l’empire de la concurrence : toujours est-il que ces rouages lui font grand’peur, et qu’il entend placer au-dessus d’eux un régulateur de tout autre nature. L’autorité qu’il rêve, en un mot, c’est une autorité qui pense et décide pour tous, qui détermine l’emploi que chacun doit faire de son activité. Ce rêve-là, nous sommes mieux placés que personne pour en connaître les dangers. Que font tous nos réformateurs ? Ils réclament pour l’état tous les monopoles : les monopoles des routes, des chemins de fer, des mines, des salines, de l’instruction, de l’industrie, des banques. Leur manière de raisonner est fort simple et surtout fort commode : tout ce qui les choque, ils le dénoncent comme un mal avec lequel il s’agit d’en finir ; toute chose qui va mal accuse un mauvais moteur ; qu’on trouve donc le moteur qui la fera aller au mieux, ci qu’on applique le même remède à tous les abus, — on aura trouvé le vrai système de gouvernement. Ce moteur, il faut lui trouver un nom ; on l’appellera l’état, par exemple. Qu’est-ce que l’état ? C’est le pouvoir dont le propre est de tout faire au mieux. Le mot trouvé, tous les nœuds gordiens sont tranchés et tous les mystères disparaissent. Cela est magnifique. Puisque l’état est la puissance de tout faire au mieux, il est bien clair que toutes les souffrances du passé sont uniquement venues de ce que l’état ne faisait pas ceci ou cela. Par la même raison, il n’y a plus la moindre difficulté à renvoyer une fois pour toutes dans le néant toutes les misères de ce monde. Que l’état fasse tout, et tout sera parfait. Bien plus, l’hydre de la discorde sera à jamais étouffée. Désormais plus de luttes, plus de haines, plus de dissensions. Comment les hommes pourraient-ils ne pas s’entendre ? Est-ce qu’ils ne désirent pas tous que tout soit au mieux ? Est-ce que l’état, d’ailleurs, n’est pas la nation ? Il n’y a plus qu’un seul mot pour représenter