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j’ai entrevus à côté de moi. Le repos était en moi, et j’allais chercher au loin les troubles sans nombre dont tant d’autres existences sont remplies. Du sein de ma solitude, j’ai deviné les larmes que l’on cache, les mécomptes, les regrets que l’on étouffe, les rêves qui se brisent. J’ai assez vécu dans le monde autrefois pour avoir sondé quelques-uns de ses abîmes, et du port, que je n’ai pas quitté, je raconte des naufrages.

« Quelques amis parfois m’écrivent encore ; ils me parlent de leurs craintes ou de leurs espérances : c’est du miel qu’ils apportent à ma ruche solitaire. Émue par ce qu’ils sentent, j’écris pour eux. Je reçois aussi quelques livres, alors je cause avec eux ; je leur réponds quand mon ame ne les a pas compris, je les remercie quand ils l’ont fait rêver.

« Ainsi s’est écoulée ma jeunesse, ma jeunesse qui doit être toute ma vie ; elle a eu ses regrets, mais aussi ses jouissances : Dieu parle si bien quand tout fait silence autour de nous !

« Au moment de voir se terminer ma courte existence, j’ai voulu rassembler ces pages, écrites à différentes époques de ma vie ; je les réunissais pour les brûler…, mais je ne sais pourquoi ma main hésite à les jeter dans les flammes. Il me semble que c’est mourir deux fois que de les anéantir à ma dernière heure. — Non, je ne les brûlerai pas ! — Et pourtant personne ne les lira ! elles resteront à jamais ignorées à l’ombre de ce vieux château. — Qu’importe ? — Il est bien sous le soleil quelques plantes inconnues, cachées au sein des bois, qui naissent, fleurissent et meurent sans qu’aucun regard se soit fixé sur elles : ainsi se cachera la voix qui a chanté en moi aux jours de ma jeunesse !

« Mais où déposer ces vers au moment de les quitter pour toujours ? à qui les confier ?…

« À toi ! mon vieux bahut… à toi, ami silencieux, qui as vu mes veilles, mes rêves, mes sourires et mes tristesses ! — à toi, sur qui si souvent ma main s’appuyait pour écrire, et ma tête s’inclinait pour rêver ! — Cache aux indifférens, ô mon vieux bahut, ces chants sans talent, mais pleins des émotions du cœur ; cache-les bien, ami ! garde pour toi seul leur craintive harmonie, dérobe-les au soleil qui est trop brillant pour eux, — sois jaloux de ton pauvre trésor, enfouis-les dans ton sein !

« Mais si jamais, par hasard, dans cette paisible retraite, l’avenir que j’ignore amenait une ame pareille à la mienne, une ame rêveuse, douce, calme et recueillie, une ame sereine, mais triste parfois, comme tout ce qui appartient à la terre, — alors, ô mon bahut, laisse deviner mes secrets !… ouvre-toi doucement devant cette main amie, laisse-la retirer ces pages de leur obscur asile, — laisse-la, le soir, les tourner doucement… laisse une larme tomber sur elles ! »

Quelles sont donc ces pages que le vieux bahut doit cacher aux indifférens, qu’il ne doit livrer qu’aux âmes rêveuses et recueillies ? Ce sont des élégies, des stances, de courts poèmes où la pensée d’une femme se joue quelquefois en des fictions gracieuses, et plus souvent apparaît sans voile, dans sa simplicité, dans sa mélancolie. C’est surtout quand elle évite de compliquer le thème poétique, de trop développer le cadre aux dépens du motif principal, c’est surtout alors qu’elle rencontre la note divine et l’élan mélodieux. En général, on