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graduellement avec les dernières notes du refrain ; mais ces sons vibrans glissèrent à travers le feuillage, et vinrent mourir sans écho sur l’herbe de la prairie

Alors le jeune homme s’assit et contempla le paisible tableau qui s’offrait à sa vue. Le ciel gris était mélancolique pour celui qui regardait n’ayant ni joie ni espérance dans le cœur. Le fleuve roulait sans bruit ses eaux froides et troubles. À gauche, la plaine s’étendait au loin sans aucun mouvement de terrain. Quelques moulins levaient dans les airs leurs grandes ailes éplorées qui attendaient le vent, et le vent, trop faible, passait auprès d’elles en les laissant immobiles. À droite, à l’extrémité de la petite prairie qui descendait vers les saules, seul point de verdure de cet aride horizon, on voyait une maison carrée, bâtie en briques rouges ; elle était isolée, silencieuse, régulière et triste. Les carreaux des fenêtres épais et verdâtres ne reflétaient pas les rayons du soleil. Des girouettes dorées formaient sur le toit des dessins bizarres. Des plates-bandes se dessinaient en carrés réguliers sur le sable du jardin. Quelques tulipes inclinant leurs têtes trop lourdes pour leur tige et des dahlias liés à des supports de bois blanc étaient les seules fleurs que l’on vît fleurir, étouffées, entourées par de petites haies de buis. Le vent, après avoir passé sur leurs calices, n’en emportait aucun parfum. Des arbres rares et chétifs, esclaves du caprice du maître, étaient taillés en muraille, ou prenaient mille formes bizarres. Leur verdure était couverte de poussière. Quelques figures de terre cuite étaient posées au détour des allées, qui dessinaient dans l’espace le plus étroit les circuits les plus compliques ; mais une de ces allées conduisait à la baie de saules. Là, la nature avait repris ses droits, et l’œil, fatigué de l’aspect de cette demeure, se reposait doucement sur les arbres libres poussant au hasard et sur l’eau qui coulait à leur pied : elle avait miné le terrain, attaqué les racines des arbres ; les saules s’étaient inclinés vers le fleuve, leurs troncs penchés formaient des ponts volans auxquels seulement une autre rive manquait. Cependant la jetée qui leur servait de base était encore assez élevée pour qu’une certaine distance séparât les arbres déracinés de l’eau qui coulait au-dessous d’eux. Quelques branches seulement, plus longues que les autres, effleuraient la surface du fleuve et recevaient par son courant un mouvement perpétuel. Leurs rameaux brillaient sous l’eau et semblaient regretter de ne pouvoir la suivre dans son cours.

C’était sous ce dôme de verdure que s’était amarré le petit canot. C’était là que le jeune homme rêvait en regardant le ciel triste comme son cœur, ou l’onde incertaine en son cours comme sa destinée. Quelques feuilles de saule caressaient son front lorsque les ondulations de la barque l’approchaient des arbres ; une de ses mains pendante hors du bateau sentait le frais contact de l’eau ; une brise bien