Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Herbert, Herbert ! disait Christine, sans vous rien pour moi sur la terre ! Je mourrai de vous avoir aimé !

En ce moment, un choc affreux ébranla la barque ; celle qui la poursuivait venait de la heurter avec force, et Van Amberg entrait dans le canot d’Herbert. Herbert, par un mouvement machinal, serra Christine sur son cœur, et recula, comme s’il pouvait par la force l’arracher à son père, comme s’il pouvait dans cette barque reculer assez loin pour n’être pas atteint. D’un bras vigoureux, M. Van Amberg saisit Christine, dont la taille flexible ploya sur l’épaule de son père comme un roseau qui s’incline.

— Monsieur, criait Herbert au désespoir, grâce pour elle ! je suis seul coupable. Ne faites peser sur elle aucun châtiment, je promets de m’éloigner, de renoncer à elle. Monsieur, grâce pour Christine !

Herbert parlait à une statue qui n’écoutait ni ne répondait. Dégageant des mains de l’étudiant la main de Christine qu’Herbert retenait encore, M. Van Amberg rentra dans sa barque, et, d’un coup de pied violent, il repoussa le canot d’Herbert. Forcées de céder à cette impulsion, les deux barques se séparèrent : l’une, vigoureusement dirigée, remonta le fleuve ; l’autre, livrée à elle-même, fut entraînée en sens contraire par le courant. Debout sur l’avant de sa barque, la tête haute, les bras croisés sur sa poitrine, M. Van Amberg fixa sur le jeune homme un regard terrible, puis il disparut dans l’obscurité. Tout était fini. Le père avait repris sa fille, et nulle puissance humaine ne pouvait désormais l’arracher de ses bras.


Huit jours après cette nuit fatale, les grilles d’un couvent se fermaient sur Christine Van Amberg.

Sur la frontière de la Belgique, au sommet d’une colline, s’élève un grand bâtiment blanc, sans régularité, amas confus de murailles, de toits, d’angles et de plates-formes. Au bas de la colline, il y a un village, et les habitans ne regardent jamais sans un sentiment de respect l’édifice qui domine leurs humbles demeures, car on y voit le clocher d’une église, on y entend sans cesse le son religieux des cloches, qui disent au loin qu’au sommet de cette montagne on prie Dieu pour tous les hommes. Ce bâtiment est un couvent ; les pauvres, les malades connaissent bien le sentier qui, sur le flanc de la colline, conduit vers le seuil hospitalier des sœurs de la Visitation[1]. Le pays n’a rien d’agreste ; la nature ne s’est pas chargée de charmer la solitude et de faire songer à Dieu par les beautés de l’univers qu’il a créé. C’est un coin de terre que nul ne visite ; ceux qui y sont nés ne lui demandent pas d’être beau

  1. Pour tous les détails cités sur la règle des couvens de la Visitation, voir les constitutions de saint François de Sales, livre VII de ses œuvres.