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les magistrats mirent en prison l’Irlandaise. Interrogée si elle était sorcière, elle répondit « qu’elle s’en flattait. » Comme elle était très pauvre et peu considérée, elle estima apparemment que ses rapports avec le démon relèveraient son crédit, et qu’il y avait là de quoi se vanter. Elle fut pendue. »

Cela se passait pendant le voyage du fameux apôtre Increase Mather, qui était allé à Londres réclamer des secours en faveur de la colonie ; il avait laissé à Boston un fils digne de lui, Cotton Mather, âgé de vingt-cinq ans, aussi ardent que son père dans la poursuite du démon et de ses influences. Celui-ci prit une part active à l’exécution de la sorcière irlandaise ; puis, voulant examiner de plus près les opérations diaboliques, il fit venir chez lui la fille aînée, la logea dans sa maison, surveilla tous ses actes, suivit tous ses mouvemens, et rédigea le curieux journal de la possédée, journal qui existe encore et qui a été imprimé sous le titre de Mémorables providences manifestées au sujet des possessions et des sortilèges. Les quatre ministres attestèrent, dans un document spécial joint à l’ouvrage, l’exactitude de ce qu’il contenait, et Mather, dans une préface foudroyante, ne manqua pas de s’élever violemment contre les « sadducéens, qui ne veulent pas croire au diable, et qui, par conséquent sont des athées. » Le livre fut réimprimé à Londres avec une préface de l’honnête calviniste Baxter.

Cette folie barbare désola le Massachusets ; ce fut pendant cinquante ans une épidémie de possessions démoniaques. Quatre ans après que la jeune fille, n’étant plus l’objet de la curiosité populaire, fut rentrée dans l’obscurité de sa vie privée, tout le village de Salem (aujourd’hui Danvers) en fut saisi. Des scènes bizarres se passèrent dans les églises calvinistes ; les femmes ennemies et rivales se levaient au milieu du service et s’accusaient mutuellement de sorcellerie. Beaucoup d’innocens périrent, et ce mouvement ne s’apaisa que dans les supplices.

Au moment où ces farouches croyances commençaient à s’adoucir, où le germe chrétien, se débarrassant du fanatisme exalté, se transformait en charité plus humaine mêlée de prudence, quelquefois de finesse, en 1715, Franklin avait neuf ans. L’activité se conservait, l’énergie n’avait pas disparu, l’esprit religieux vivait au fond des cœurs, aussi puissant et moins âpre. Franklin et Washington, apôtres de la tolérance, de la douceur et de l’activité pacifique, s’élevèrent et grandirent au milieu de ce mouvement de réaction, soumis à cette impulsion nouvelle. Franklin surtout représente parfaitement la seconde époque qui expire aujourd’hui, et qui a été signalée par l’explosion de l’indépendance américaine.

Une troisième ère commence. Maintenant que la colonisation, terminée sur le bord de la mer Atlantique, se continue victorieuse dans