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à celle d’un Anglais, est fort supérieure à celle de tout autre pays de l’Europe. Cette ration moyenne est encore insuffisante sans doute, mais comment l’accroître ? Par le progrès lent et continu de l’aisance publique, il n’y a pas d’autre moyen. C’est moins la production qui manque à la consommation que la consommation à la production, faute de moyens d’échange. Si l’on consomme encore peu de viande dans les campagnes, ce n’est pas précisément qu’elle manque, c’est qu’on n’a pas de quoi l’acheter. La progression rapide de la population de Paris a fait monter le prix de la viande sur pied d’un sou par livre de 1825 à 1848 dans le rayon d’approvisionnement de cette capitale ; mais, partout ailleurs en France, les prix n’ont pas sensiblement varié, et la production s’est développée parallèlement à la consommation.

Quoi qu’il en soit, avions-nous tort de dire en commençant que les, votes du conseil avaient été généralement inspirés par une politique libérale ? Voilà cinq grandes questions de commerce extérieur, toutes cinq ont été résolues dans le sens d’une extension de liberté. Une seule aggravation de tarifs a été votée ; le conseil a demandé que le droit de 25 francs perçu sur les chevaux étrangers fût porté à 50, mais pour les chevaux seulement, et non pour les jumens. Cette exception, qui était au moins inutile en présence de la diminution constante de l’importation chevaline et des progrès constans de nos éleveurs, a été votée presque sans discussion ; elle n’infirme pas la règle. Maintenant, que l’économie politique se montre elle-même moins absolue dans ses principes, moins rigoureuse dans ses déductions, et il est à espérer que la réconciliation de la théorie et de la pratique, déjà réalisée en fait, comme on vient de le voir, se fera aussi dans les intentions. Cette opposition apparente vient évidemment d’un malentendu dans les mots, puisqu’au fond on s’entend sur les choses. C’est ce malheureux mot de protection qui fait tout le mal ; si le régime protecteur portait son véritable nom, s’il s’appelait le régime restrictif par exemple, on serait plus près d’être d’accord, surtout si les économistes prenaient plus de soin de rappeler en toute occasion qu’ils ne demandent pas une révolution violente, mais une modification graduelle dans les tarifs.

On l’a rappelé récemment avec raison, le fondateur de l’économie politique, Adam Smith, est mort administrateur des douanes en Écosse. Ce fait prouve que la vraie doctrine sait accepter les faits et s’y soumettre. Adam Smith fait exécuter consciencieusement les lois de son pays, tout en pensant qu’elles devaient être révisées, mais à la longue, avec maturité, d’après les leçons de l’expérience ; il a compté sur le temps, et le temps lui a donné raison. Aussi les observations que M. Michel Chevalier a adressées à deux reprises au conseil général à propos de la liberté commerciale, parfaitement justes au fond et exprimées avec beaucoup de talent, nous ont-elles paru un peu trop vives